Bavardages #5 : Finir l’année à Prague

 

Pour bien commencer l’année 2019 sur ce blog, je voudrais avant tout revenir sur la fin de 2018. Malgré un rythme assez chaotique concernant les publications, le blog a fêté ses 5 ans en décembre et ce serait dommage de s’arrêter là. J’espère que cette nouvelle année sera riche pour le blog, bien que j’aie depuis longtemps laissé tomber l’idée d’un planning régulier, car je ne m’y tiens jamais. Je traîne ce brouillon d’article depuis 3 mois déjà, et il est grand temps de m’y remettre sérieusement.

Les articles Bavardages sont un bon moyen pour moi de livrer mes coups de cœur, et la ville de Prague en a été un énorme. Quelle ville magnifique ! Découverte entre Noël et le Jour de l’An, la ville baignait dans une ambiance festive accentuée par les nombreux marchés de Noël d’où émanent des délicieuses odeurs de boissons chaudes, de viande braisée et de cannelle. Facilement identifiables, les touristes se ruent autour des petits chalets en bois pour ramener des souvenirs, mais surtout pour manger et se réchauffer car au-delà de l’esprit de Noël, le froid aussi est au rendez-vous.

 

La ville est souvent associée à Alfonse Mucha, artiste phare de l’Art Nouveau et de l’esthétique 1900, qui bénéficie actuellement d’une grande exposition au musée du Luxembourg à Paris. À Prague, un musée lui est dédié, et on peut découvrir ses œuvres dans de nombreux endroits de la ville.

La maison municipale (Obecní dům)

Ce bâtiment, construit entre 1905 et 1911 est un des plus représentatifs de l’Art Nouveau à Prague. Il réunit une salle de concert, une salle d’exposition, un café et un restaurant. C’est ici, depuis le balcon, que l’indépendance du pays fut déclarée en 1918 et la création de la première république tchécoslovaque. Pour sa décoration, les plus grands artistes tchèques du courant Sécession furent appelés. Symbole du renouveau de la ville et marquée par la volonté d’affirmer son prestige, la maison municipale a été conçue et décorée avec soin. Toutes les œuvres, des peintures murales aux vitraux en passant par les meubles, rendent hommage à la nation tchèque, son histoire, sa littérature et ses arts. Cette tendance nationaliste s’incarne dans la mosaïque monumentale qui orne le fronton extérieur : réalisée d’après un carton de Karel Špilar, L’Apothéose de Prague fait écho à la citation de Svatopluk Čech : « Salut à toi, Prague ! Résiste aux temps de colère, tu as résisté à tous les orages ! » et aux armoiries de la ville.

 

Pièce centrale du batiment, la salle Smetana est décorée par de nombreux artistes (František Ženíšek, Karel Novák, Ladislav Šaloun, Antonín Štrunc, Antonín Mára…). C’est ici que j’ai assisté à un très joli concert de Noël, mélangeant des Christmas Carols et des chants tchèques. Peintures murales et sculptures décorent avec harmonie et grandeur cette salle de concert, et illustrent encore une fois la culture et les mythes de la nation tchèque.

Le chef d’œuvre de la Maison Municipale est sans doute la salle du Maire entièrement décorée par Mucha. Dans cette pièce circulaire, située au centre de la façade principale, le programme décoratif met à l’honneur la nation et l’histoire tchèques. Je n’ai malheureusement pas eu le temps de la visiter.

Mucha et l’Épopée Slave

Lors de ma visite à la Maison Municipale, une affiche a attiré mon attention « Alfons Mucha, The Slave Epic, 19/07.2018 – 13/01/2019 ». L’Épopée Slave, j’en avais déjà entendu parler et j’avais très envie de voir ces œuvres en vrai un jour. J’avais lu qu’elles étaient auparavant exposées au Palais des Foires de Prague (Veletrizni Palac), puis au Japon, mais j’ignorais qu’elles devaient être présentées à Prague lors de mon séjour. Cette exposition célèbre l’anniversaire de l’indépendance tchécoslovaque, le choix du lieu fait donc sens pour ces œuvres à l’histoire si particulière.

Alfons Mucha dans son atelier peignant L’Épopée Slave, vers 1920

L’Épopée Slave est un ensemble de vingt toiles monumentales de Mucha, retraçant l’histoire et la mythologie slave. Fruit de près de vingt ans de travail, elle est présentée au public pour la première fois en 1928, pour le dixième anniversaire de l’indépendance tchécoslovaque. En 2018 seulement onze toiles furent exposées, la Maison Municipale ne possédant pas l’espace suffisant pour la totalité du cycle. Elle est aujourd’hui considérée comme le chef-d’œuvre de Mucha et une icône de l’Art Nouveau. Ces peintures d’histoire, en opposition avec le modernisme émergeant des années 1920, furent moyennement bien reçues par la critique et le public de l’époque. Jugées démodées et anachroniques, elles correspondent surtout à une conception personnelle et biaisée de l’histoire, à l’aune des opinions politiques et de la franc-maçonnerie de Mucha.

Ces toiles ne sont donc pas à prendre comme un manuel d’histoire, mais bien comme l’interprétation de l’artiste, avec des symboles et des partis-pris.  C’est un ensemble complexe, divisé entre l’histoire tchèque et des autres pays slaves, les religions et les mythologies. Mucha y met en avant des personnages importants, que l’on retrouve d’un épisode à un autre, ce qui apporte de la cohérence à ce travail monumental. La volonté pacifiste de Mucha traverse l’ensemble du cycle, et il arrange volontairement l’histoire pour transmettre son message de paix et de solidarité entre les peuples slaves. Certains épisodes peuvent également être lus à l’aune du contexte de création, la Première Guerre Mondiale.

 

La peinture de Mucha est très expressive. Les couleurs sont souvent au service du message de la toile. Pour les scènes de batailles notamment, il utilise des couleurs froides pour dépeindre l’horreur des affrontements, la défaite, la solitude et la mort. Cependant, il ne représente jamais de sang ou d’actes de violence. Ce sont plutôt des scènes de contemplations, après les combats.

Je ne m’en cache pas, j’adore la peinture d’histoire tout comme j’aime beaucoup le style pictural de Mucha. L’Épopée Slave avait donc tout pour me plaire et j’étais ravie de découvrir ces oeuvres à Prague.

Galerie Nationale de Prague

Dans ce bâtiment d’architecture constructiviste, les chefs-d’œuvre de la peinture tchèque du XIXe au XXIe siècle sont exposés. Cet immense palais de béton moderne contraste avec les façades Art Nouveau de la ville, délicates et colorées. Presque entièrement détruit dans un incendie il y a 40 ans, il est finalement choisi pour accueillir les collections d’art moderne de la ville. Sa reconversion muséale évoque celle de la gare d’Orsay en France, au même moment, mais le chantier sera bien plus complexe et plus long à Prague.

L’espace est véritablement gigantesque. Le Corbusier le qualifiait de « grandiose » : chaque étage bénéficie de 4500m2 d’espace d’exposition. Au troisième étage sont exposées les collections d’art français, qui n’ont rien à envier à d’autres institutions européennes car elles possèdent de nombreux grands noms de l’art des XIXe et XXe siècles : Delacroix, Corot, Daumier, Courbet, Sisley, Monet, Pissaro, Signac, Seurat, Rousseau, Gauguin, Bonnard, Matisse, Chagall et Picasso…

C’est un plaisir de retrouver ici, un peu par hasard, des œuvres célèbres, comme Moi-même du Douannier Rousseau, le Jas de Bouffan de Cézanne ou Bonjour Monsieur Gauguin, de Gauguin. Mais pour un visiteur français, le vrai intérêt de ce musée est la découverte de l’art tchèque.

L’accrochage est chronologique, réparti selon les étages et permet une bonne compréhension des différentes périodes artistiques. Romantisme, impressionnisme, réalisme, symbolisme, surréalisme… Les courants se succèdent, dans l’ordre que l’on connait, jusqu’à l’art contemporain. On peut constater une volonté curatoriale de mettre en avant la richesse et la diversité des collections et de la scène artistique tchécoslovaque, en parallèle des collections françaises.

Dans le froid glacial du premier jour de l’année et d’un lendemain de réveillon surement trop arrosé, les couloirs du musée étaient presque déserts : des conditions idéales pour découvrir ces artistes complètement inconnus à nos oreilles françaises… Pourtant, on ne peut pas vraiment parler de dépaysement car l’influence des grands courants européens est omniprésente. Le XIXe siècle tchèque met l’accent sur la peinture mythologique, la nature est au coeur des compositions colorées impressionnistes… C’est un plaisir pour les yeux. Je regrette de ne pas avoir trouvé de livre qui aurait pu me permettre d’en apprendre plus sur la peinture tchèque à la librairie du musée. Quelques coups de coeur, au hasard de mes déambulations :

 

 

 

J’ai aimé beaucoup d’autres choses à Prague, comme les vitraux de la cathédrale Saint-Guy (Mucha encore…), la belle façade de Storch House, l’église Saint-Nicolas, etc… Mais cet article est déjà assez long comme ça !

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Titulaire d’un master en histoire de l’art contemporain à l'Université d'Aix-Marseille, je me spécialise dans la période XIXe - XXe siècle et dans les arts en Méditerranée.

4 Comments

  1. Je ne suis jamais allé à Prague, mais j’avoue que ça me titille pas mal (comme beaucoup de villes d’Europe de l’Est, je ne sais pourquoi), cette ville a l’air tellement belle et grandiose ! Et ton billet, très instructif, super bien écrit, donne particulièrement envie d’y aller ! (bon, mais pas en hiver, trop froid pour moi…^^)
    Belle journée
    Alexandrine

  2. Merci beaucoup pour ton commentaire !
    La ville vaut vraiment le coup d’oeil, il y a tellement de chose à voir que 4 jours ne m’ont pas suffit, j’espère y retourner très bientôt (quand il fera moins froid c’est clair !)

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