L’écran et la fumée, Walter Benjamin à Marseille

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Walter Benjamin, L’écran et la fumée, Renaud Vercey, 2018

Le musée d’Histoire de Marseille accueille jusqu’au 9 juin 2019 une création numérique interactive, conçue par Renaud Vercey. Intitulée L’écran et la fumée, elle retrace le parcours de Walter Benjamin à Marseille, visite poétique et sensorielle guidée par « l’ivresse du haschich» qu’il consomme.

Carte de bibliothèque, BNF Paris – 1940

Né à Berlin en 1892, Walter Benjamin est un philosophe, historien de l’art, critique littéraire, critique d’art et traducteur allemand, particulièrement sensible à la modernité. Des écrits comme L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique témoignent de cette préoccupation majeure pour les changements qui s’opèrent dans l’art et dans la société moderne. Il déplore la perte de « l’aura », conférant à l’œuvre d’art une certaine autorité magique et religieuse qui n’est pas compatible avec la production de masse.

Il voyage beaucoup au cours de sa vie, notamment en Europe et en Russie. Ses voyages nourrissent son inspiration. Ainsi naissent Charles Baudelaire et ses tableaux parisiens ou Paris, capitale du XIXe siècle, à la suite d’un séjour à Paris en 1926. La même année, il découvre aussi Marseille, où il fréquente le Café Riche avec ses amis Ernst Bloch et Siefried Kracaeur. Il rencontre Jean Ballard, directeur de la revue littéraire Les Cahiers du Sud où il sera ensuite publié.

Canebière et Café Riche, Carte postale Selecta, 1921, coll. Musée d’Histoire de Marseille
Café Riche, carte postale – Ganio ; Ferrand, J. – 1er quart XXème, coll. Musée d’Histoire de Marseille

« Je sais maintenant qu’il est plus difficile d’arracher trois lignes à cette ville que d’écrire un livre sur Florence. » Walter Benjamin – Lettre à Alfred Cohn – 1928

Marseille fascine Walter Benjamin. Il la considère comme une ville difficile, une ville industrielle d’avant-garde dont il livre une expérience sensible dans ses écrits. C’est dans cette ville qu’il se laisse aller à ses penchants pour les narcotiques, dans la lignée de Baudelaire et des surréalistes. Il participe sous surveillance scientifique à des protocoles d’expérimentations de drogues. Haschich à Marseille, toile de fond de L’écran et la fumée, relate les déambulations de Walter Benjamin à travers la ville et documente les effets de la drogue sur sa perception olfactive et chromatique.

Cigarettes Stephano, Lithographie – Imprimerie Moullot, Marseille – début XXème, Musée d’Histoire de Marseille
Couverture des Cahiers du Sud, Janvier 1935, coll. Musée d’Histoire de Marseille

Le texte est publié dans Les Cahiers du Sud en 1935. Selon Jean Ballard, « le cadre si merveilleusement marseillais rend ces documents très vivant ».  En effet, Benjamin donne des descriptions très précises des lieux et des atmosphères qu’il rencontre au cours de son errance urbaine : La Major, la Canebière, le quartier des prostituées, le passage de Lorette… Le documentaire restitue avec justesse ce voyage dans le Marseille des années 30, grâce à une sélection d’archives en partie issues des fonds patrimoniaux de l’Alcazar (fonds Jean Ballard), et du Musée d’histoire de Marseille. L’écran et la fumée met en images onze séquences, dont huit sont basées sur le texte de Haschich à Marseille, récité par une voix à l’accent allemand censée évoquer celle de l’auteur. La richesse des illustrations éclaire le texte et ancre le spectateur dans le contexte. C’est une « vue dans le ventre de Marseille », selon les mots de Benjamin lui-même.

La Cathédrale, Carte postale – Selecta – 1ère moitié XXème, coll. Musée d’Histoire de Marseille
La sardine qui a bouché le port, Carte postale – Photo Bourse, Marseille – 1er quart XXème, coll. Musée d’Histoire de Marseille

Walter Benjamin fera en tout trois séjours à Marseille. Le dernier, en 1940, n’a rien à voir avec le tourisme et les errances insouciantes de 1926 et 1928. Déchu de la nationalité allemande, sorti du camps de Nevers, il arrive à Marseille comme des centaines d’autres exilés, en attente d’un VISA pour les États-Unis. Là, il retrouve ses amis Stéphane Hessel, Arthur Koestler, Elisabeth et Siegfried Kracauer, ainsi qu’Hannah Arendt et Heinrich Blücher. Il essaye, en vain, d’obtenir une autorisation de sortie du territoire, puis décide le 23 septembre 1940 de quitter Marseille pour tenter de franchir la frontière franco-espagnole à pieds. Sa santé était déjà très fragile et cette entreprise désespérée à travers les Pyrénées l’épuise. Les policiers espagnols lui refusent le passage, et enterrent en lui tout espoir de s’en sortir. Il préfère la mort à la Gestapo : dans la nuit du 26 septembre 1940 il se suicide, par une dose massive de morphine, dans sa chambre d’hôtel de Port-Bou.


L’écran et la fumée est visible au Musée d’histoire de Marseille, ou en ligne ici. L’exposition numérique s’accompagne d’un programme détaillé de manifestations diverses : cycle de conférences – rencontres – lectures – balades urbaines – projections. Le programme complet est à retrouver ici

En bonus : Walter Benjamin à Marseille, un film d’Alain Paire et de François Mouren-Provensal.

Titulaire d’un master en histoire de l’art contemporain à l'Université d'Aix-Marseille, je me spécialise dans la période XIXe - XXe siècle et dans les arts en Méditerranée.

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