Alice Neel, peintre de la vie moderne

Julie enceinte et Algis, 1967 Huile sur toile, 107,6 x 161,9 cm Succession d’Alice Neel Crédit photo : Malcolm Varon, New York

Il ne vous reste plus que quelques jours pour découvrir l’exposition évènement de la Fondation Van Gogh à Arles : Alice Neel, peintre de la vie moderne. Cette rétrospective de plus de 70 tableaux dresse un portrait de la société américaine des années 1920 à 1980, à travers l’esthétique particulière d’Alice Neel.

Alice Neel dans son appartement de Spanish Harlem, vers 1940 Succession d’Alice Neel
Crédit photo : Sam Brody

Elle fait sans doute partie des plus grands artistes américains du XXe siècle, mais souffre encore d’un manque de reconnaissance à l’international. Femme peintre, proche du milieu communiste et des bohèmes new-yorkaises, elle se place à rebours des tendances de son époque, où l’abstraction était considérée comme la norme d’une nouvelle modernité. Alice Neel reste une artiste figurative et donne au corps humain une importance capitale.

Ses premières œuvres sont sombres, marquées par la misère qui la touche, par sa dépression et par son engagement politique. Sa peinture reflète ce qu’elle côtoie au quotidien dans son quartier à Spanish Harlem : la précarité, la maladie, l’injustice.

José, 1936 Huile sur toile, 58,4 x 46 cm Succession d’Alice Neel Crédit photo : Malcolm Varon, New York

Au tournant de 1950, sa palette change et devient plus lumineuse et colorée. Le regard qu’elle porte sur ses modèles est cru, sans concession, au service d’une peinture considérée comme réaliste. Les couleurs sont vives et les fonds souvent épurés, mettant ainsi en valeur le sujet de la toile. Les portraits de cette période sont frappants par la psychologie qui s’en dégage : le modèle fixe souvent le spectateur et semble lui raconter son histoire, celle d’une Amérique en plein bouleversement. Famille, artistes, galeristes, historiens de l’art, travestis, ou homosexuels, elle peint la scène new-yorkaise qu’elle fréquente assidument depuis son déménagement dans l’Upper West Side. Sa volonté de peindre toutes les classes sociales est comparable à l’intention de Balzac : dresser une véritable Comédie humaine.

Alice Neel, Jackie Curtis et Ritta Redd, 1970 Huile sur toile, 152,4 x 106,4 cm. The Cleveland Museum of Art, Leonard C. Hanna, Jr. Fund 2009.345
Ginny et Elizabeth, 1975 Huile sur toile, 106,7 x 76,2 cm Succession d’Alice Neel Crédit photo : Ethan Palmer

Ses nombreux portraits de la condition féminine lui valent d’être considérée bien malgré elle comme une pionnière parmi les artistes féministes. Le nu féminin est en effet un thème récurrent dans son œuvre, en rupture avec le regard masculin habituel et les canons classiques.

Ainsi, Alice Neel est une « peintre de la vie moderne », telle que Baudelaire l’imaginait dans son essai phare du même nom : « La modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable. Il y a eu une modernité pour chaque peintre ancien. »  Cézanne, Van Gogh, Otto Dix, Francis Bacon ou Lucian Freud semblent nourrir son œuvre, mais elle parvient à garder une touche très personnelle et reste en dehors de tout courant pictural. Elle représente simplement son époque, troquant le costume noir du XIXe siècle cher à Baudelaire pour les vêtements excentriques et les fards de la bohème new-yorkaise du XXe siècle. 

Une exposition très réussie – malgré un accrochage chronologique inversé qui perturbe un peu la compréhension du parcours de l’artiste – à découvrir à la Fondation Van Gogh Arles jusqu’au 17 septembre.

Titulaire d’un master en histoire de l’art contemporain à l'Université d'Aix-Marseille, je me spécialise dans la période XIXe - XXe siècle et dans les arts en Méditerranée.

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