L’art du pastel, de Degas à Redon

Si le pastel est souvent associé au XVIIIe siècle, où il connait un véritable âge d’or dans le genre du portrait, c’est pourtant au XIXe siècle que les artistes vont s’emparer de cette technique pour explorer toutes ses possibilités expressives. Le Petit Palais consacre une exposition à ce médium grâce à 130 pastels issus de ses collections, et rarement exposés. Intitulée L’art du pastel, de Degas à Redon, elle se veut être un panorama exhaustif des grandes tendances artistiques de la seconde moitié du XIXe siècle, de l’Impressionnisme au Symbolisme.

Médium fragile, peu exposé et difficilement transportable, le pastel est encore mal connu du grand public, son rôle étant souvent considéré comme mineur ou secondaire dans la carrière des artistes. Pourtant, dans la seconde moitié du XIXe siècle, le genre connait un renouveau fulgurant. À la croisée du dessin et de la peinture, il permet une grande liberté de styles et une sensualité inégalée.

Léger, peu encombrant et ne nécessitant ni préparation ni temps de séchage, le pastel était la technique idéale pour les artistes de plein air. Dans la lignée des expérimentations de l’école de Barbizon, dont les artistes partaient en forêt pour saisir sur le motif les paysages et les effets atmosphériques, des artistes comme Félix Bouchor, Alexandre Nozal ou Léon Lhermitte utilisent le pastel pour représenter des scènes paysannes, rurales ou de la vie quotidienne. Le pastel naturaliste propose un regard simple et spontané sur ses sujets et ouvre la voie aux impressionnistes.

Léon Augustin Lhermitte (1844-1925). La moisson. Les lieuses de gerbes. Pastel. Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, Petit Palais.

La touche vibrante et les possibilités colorées du pastel séduisent évidemment les artistes impressionnistes, d’Edgar Degas à Mary Cassatt et de Paul Guillaumin à Paul Gauguin, sans oublier Berthe Morisot et Auguste Renoir. Le médium traduit parfaitement les  effets de la lumière et ses diffractions, accentués par l’effet de flou dû au caractère pulvérulent du pastel. L’exposition montre une belle sélection de pastels impressionnistes. Dans le parc de Berthe Morisot est un parfait exemple de cette recherche sur la représentation du mouvement et des effets de lumière. Les portraits d’enfants de Mary Cassat révèlent quant à eux d’un art intime, faisant écho à l’exposition présentée actuellement au Musée Jacquemart-André.  Ses pastels présentent une esthétique de l’inachevé, où le papier est laissé à la vue du spectateur.

Berthe Morisot (1841-1895). Dans le parc. Pastel, vers 1874. Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, Petit Palais

Le pastel continue à s’illustrer comme un art du portrait. Au XIXe siècle, il devient mondain et représente la nouvelle élite bourgeoise qui s’empare de Paris. Jacques-Émile Blanche est ainsi un grand spécialiste du genre, comme le montre l’incroyable portrait de Marie-Blanche Vasnier. Le pastel sait rendre avec justesse le velouté de la peau et l’éclat des carnations. Comme le souligne Charles Blanc en 1867, il « n’a pas le profond de la peinture à l’huile ; mais il n’a pas non plus ces luisants qui la font miroiter et qui sont si gênants pour le regard. Le frais des couleurs, l’éclat et le tendre des carnations, le duvet de l’épiderme, le velouté d’un fruit, le moelleux d’une étoffe, ne sauraient être mieux rendus que par ces crayons aux milles nuances que l’on peut juxtaposer vivement ou fondre avec le petit doigt, et dont l’empatement happe la lumière. »  

Pierre Carrier-Belleuse (1851-1932). Sur le sable de la dune. Pastel sur toile, 1896. Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, Petit Palais.

Privilégiant les thèmes littéraires, mythologiques et les sujets propices au rêve et à la méditation, les symbolistes voient dans le pastel le moyen parfait pour faire correspondre leurs visions à leur esthétique. Leurs oeuvres témoignent d’une expressivité colorée, des visions antiques d’Émile Ménard aux paysages lyriques d’Alphonse Osbert. Dans la lignée de Puvis de Chavannes, ces derniers montrent des silhouettes évanescentes vêtues à l’antique, dans une nature idyllique en jaune et bleu. Cette référence à l’antique se retrouve dans les pastels flamboyants de Ker-Xavier Roussel, dont les scènes mythologiques peuplées de nymphes et de satyres ont un penchant comique qui contraste avec le calme méditatif des autres symbolistes.

Alphonse Osbert, Le lyrisme de la forêt, 1910. Pastel. Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, Petit Palais.

Odilon Redon est un des artistes les plus importants dans le renouveau du pastel à la fin du XIXe siècle. Après sa période noire, il « épouse » la couleur à la fin de sa vie et trouve dans le pastel la matière à évoquer ses rêves et sa spiritualité. Il le dit lui-même : « J’ai épousé la Couleur, depuis il m’est difficile de m’en passer. » Il se révèle être un pastelliste hors pair et cette technique convient parfaitement à son art suggestif et à l’explosion de la couleur. En l’associant souvent au fusain, plus sombre, le pastel de Redon traduit des méditations profondes, de son Christ du silence à son célèbre Bouddha.

Odilon Redon (1840-1916). Vieil ange. Pastel et fusain sur papier beige collé sur papier, 1892-1895. Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, Petit Palais.

Cette exposition, qui se termine bientôt, est une rare occasion d’admirer les chefs-d’oeuvre issus de la collection du Petit-Palais. Elle donne à voir des oeuvres rares ou inédites, dans un écrin scénographie intimiste qui convient parfaitement à son sujet. Une belle découverte, qui donne envie d’en savoir davantage sur ce médium et les artistes qui le pratiquent. 

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Titulaire d’un master en histoire de l’art contemporain à l'Université d'Aix-Marseille, je me spécialise dans la période XIXe - XXe siècle et dans les arts en Méditerranée.

2 Comments

  1. Très intéressante cette expo, c’est vrai que le pastel est méconnu, ou pire, snobé, comme si cela n’était pas un médium « sérieux », et pourtant, on peut faire des merveilles au pastel (je dis ça, mais je n’en fais jamais), d’ailleurs les œuvres exposées le prouvent ! Merci pour ce joli partage Lisa;
    Belle journée
    Alexandrine

  2. Cette exposition m’a directement démonté un grand nombre de clichés qui j’avais sur le pastel (taille/sujet/technique…) tout en me confrontant à des oeuvres qui furent de vrais coup de cœur.

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