Roman-Photo, rétrospective d’un genre « à l’eau de rose »

Gioventu Delusa 1967 © Droit réservé Arnoldo Mondadori

Passion, séduction, trahison, jalousie, mensonge, abandon… Jusqu’au 23 avril 2018, l’exposition Roman-Photo explore ces thèmes universels à travers la rétrospective d’un genre populaire encore méconnu.

Gioventu Delusa © Droit réservé Arnoldo Mondadori

Produit de l’industrie culturelle italienne au lendemain de la guerre, le roman-photo connait un succès populaire immédiat. Dans un contexte encore troublé, où le besoin de rêve et d’évasion se fait sentir, il met en scène des histoires d’amour, des péripéties amoureuses jusqu’au happy end. Le roman-photo est sentimental, ce qui lui vaut l’étiquette de « genre à l’eau de rose ». Véritable phénomène de société dépassant rapidement les frontières de l’Italie, le genre prend ses origines au XIXe au sein de la presse illustrée, qui publiait des histoires en feuilleton. Il est héritier des romans dessinés, des cartes postales et des ciné-romans, où l’image est au coeur du récit. Ce procédé narratif est sans doute une des raisons de son succès fulgurant. L’image de roman-photo est théâtrale, figée, permettant une compréhension claire du récit. Elle met en scène les archétypes des relations amoureuses, afin de toucher un large public. Cependant, si elles frôlent parfois au mythe, les histoires du roman-photo s’ancrent dans la réalité de leur époque, faisant du genre un véritable témoignage de la société de leur temps. Comme le souligne la commissaire Frédérique Deschamps, le roman-photo « a généré une véritable industrie, produisant des milliers de clichés pour des millions de lecteurs et de lectrices », il est « un formidable sismographe de la société des Trente Glorieuses. Ces contes de fées modernes sont peuplés de réfrigérateurs, de voitures, de tourne-disques, signes tangibles de la modernité et d’autres objets de romance ou de désir. En faisant défiler ces images, nous retracerons donc aussi l’évolution d’une époque et de ses envies, l’émancipation de la femme et celle des mœurs ».

Ciné-roman À bout de souffle © Raymond Cauchetier

Si le genre est né en Italie en 1947, il s’exporte vite dans la sphère méditerranéenne, et même en Amérique latine. En France, la même année, Cino Del Duca lance le magazine féminin Nous Deux, qui publie son premier roman en 1950. Le magazine, qui a fêté ses 70 ans, tire encore aujourd’hui près de 350 000 exemplaires et en diffuse 250 000 environ par semaine. L’âge d’or du roman-photo est peut-être révolu, mais le roman-photo n’est donc pas mort !

Malgré son succès, le roman-photo est accusé de pervertir les moeurs, d’être laid, bête ou trop mièvre. Pour citer Roland Barthes : « Je suis persuadé que ces « arts », nés dans les basfonds de la grande culture, possèdent une qualification théorique et mettent en scène un nouveau signifiant (…) ; c’est désormais reconnu pour la bande dessinée ; mais j’éprouve pour ma part ce léger trauma de la signifiance devant certains photos-romans : « leur bêtise me touche » (…) ; il y aurait donc une vérité d’avenir (ou d’un très ancien passé) dans ces formes dérisoires, vulgaires, sottes, dialogiques, de la sous-culture de consommation. » 

Nous Deux, n°1277, 1971 © Nous Deux

Les histoires d’amour finissent mal en général. Dans les années 60, le roman-photo est repris pour raconter de nouvelles histoires, érotiques, humoristiques ou satiriques. Le détournement du procédé narratif est un encore une fois un succès. Ce nouveau roman-photo, ouvertement sexy, moqueur et violent, s’incarne dans la figure de Killing (Satanik en France), qui fait son apparition en 1966 en Italie. Conséquence du relâchement des moeurs des années 60, il vise plutôt un public masculin, et annonce le développement à venir de la presse érotique. De nombreux artistes, dessinateurs ou comiques voient aussi dans le roman-photo un moyen d’expression privilégié pour caricaturer leur société, comme en témoignent Hari-Kiri, Charlie Hebdo ou Fluide Glacial. On le retrouve également au cinéma avec La Jetée de Chris Marker, ou au théâtre, évoqué dans l’exposition avec la production du Royal de Luxe de 1987, « Parfum d’Amnésium » ou « Roman-photo : tournage.

Satanik, extrait 1967 © Josselin Rocher

Au Mucem, l’exposition aborde le roman-photo de manière plus ou moins chronologique : origines, développement de ses archétypes, jusqu’à ses détournements. Grâce à une très belle scénographie, plus de 300 objets retracent l’histoire du genre, et plus largement d’une époque. À travers son esthétique particulière, parfois un peu kitsch, le visiteur découvre ou redécouvre les stars d’hier (Sophia Loren, Gina Lollobrigida, Claudia Cardinale, Johnny Halliday, Sylvie Vartan…) et les évolutions de la société. L’exposition n’aurait pas existé sans l’incroyable fonds Mondadori, constitué de plus d’un millier de négatifs et de maquettes de romans-photos de la fin des années 1940 jusqu’au début des années 1980, mais elle a également permis d’enrichir les fonds du musée consacrés à la presse populaire. Amateurs et amatrices de romans-photos, de cinéma ou tout simplement de belles images, chacun trouvera sans doute son bonheur dans cette exposition d’envergure dans la réhabilitation du genre. 

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Titulaire d’un master en histoire de l’art contemporain à l'Université d'Aix-Marseille, je me spécialise dans la période XIXe - XXe siècle et dans les arts en Méditerranée.

2 Comments

  1. Ah, chouette article, ça donne vraiment envie d’aller la voir, surtout que l’image véhiculée de la femme est intéressante à cette période ! ^^ Par hasard, est-ce que tu as vu un catalogue de l’expo ?

    Belle journée
    Alexandrine

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