Laboratoire d’Europe, Strasbourg 1880 – 1930

Jean-Désiré Ringel d'Illzach, Archives Spindler

Jusqu’au 25 février, les musées de Strasbourg accueillent un ensemble d’expositions et de manifestations culturelles organisées autour d’un thème commun : « Laboratoire d’Europe, Strasbourg 1880 – 1930 : arts, sciences, histoire ». Cette exposition d’envergure détaille ainsi une période faste de l’histoire de la ville, à travers plus d’un millier d’œuvres, d’objets et de documents. Au tournant du siècle, Strasbourg est en effet une ville culturellement foisonnante, grâce au développement exceptionnel des arts décoratifs, de l’urbanisme, de la musique et des sciences. D’abord allemande (capitale du Reichsland d’Alsace-Lorraine) puis française, la ville rayonne par un savant mélange des cultures. Les multiples changements politiques, culturels et économiques font de Strasbourg un pôle attractif, un véritable « laboratoire » où les arts et les sciences fleurissent et visent l’excellence. Ainsi, le visiteur est invité à plonger dans le rayonnement culturel de la métropole rhénane à travers différentes expositions.

Carte postale de Strasbourg, Place de l’Université

Le Musée d’Art Moderne et Contemporain aborde la période de manière panoramique, en présentant chronologiquement les aspects les plus importants de la modernité strasbourgeoise : les arts décoratifs, l’Université, les musées et un climat intellectuel en effervescence jusqu’en 1929.

La ville voit sa superficie tripler autour de 1900. De nombreux bâtiments privés et publics voient le jour, vaste chantier décoratif pour les architectes, les artistes, artisans d’art, ferronniers, ébénistes, maîtres-verriers, céramistes. L’École des arts décoratifs joue un grand rôle dans cette émulation artistique. Elle est ouverte en 1890, afin de lutter contre le déclin artisanal de l’Alsace. Le munichois Anton Seder est placé à sa tête, fort de son expérience dans le domaine des arts décoratifs. Son projet pédagogique est fondé sur l’abolition des frontières entre les arts et l’artisanat. L’influence des courants européens tels que les Arts and Crafts, le symbolisme ou l’Art Nouveau se ressent dans les travaux des artistes alsaciens, dont Charles Spindler peut être considéré comme un des meilleurs représentants et un véritable pionnier.

Après des études à Munich, Berlin et Düsseldorf, il s’installe à Saint-Léonard sur l’invitation de son ami l’écrivain Anselme Laugel, qui prône comme lui un retour à la nature et au régionalisme rural. Autour d’eux va se former le cercle de Saint-Léonard, un regroupement d’artistes désireux d’explorer la modernité à travers le filtre du régionalisme alsacien. Parmi les travaux les plus célèbres on peut citer Costumes et coutumes d’Alsace, les Images alsaciennes, et la Revue Alsacienne Illustrée, qui participe à la diffusion des idées du cercle. En 1893, il redécouvre la technique de la marqueterie, qui donne un nouveau tournant à sa carrière. Il adapte le mouvement Jugendstil à son enracinement alsacien et crée des compositions qui s’intègrent dans les idées d’un art total qu’il a développé au contact de Josef Maria Olbrich, Peter Behrens et Victor Prouvé.

Sainte Odile sur son lit de mort, panneau de marqueterie, vers 1900

L’illustration reste la spécialité de la ville. L’École des arts décoratifs accorde une grande importance à l’enseignement du dessin, et les artistes suivent là aussi les tendances européennes. Une génération d’affichistes de talent émerge, parmi laquelle on voit de nombreuses artistes femmes comme Dorette Muller, Lika Marowska ou Mia Jacoby. Ces dernières ont bénéficié d’une exposition en 2009, Femmes affichistes en Alsace de 1900 à 1980, qui proposait de redécouvrir le rôle prépondérant joué en Alsace par les femmes dans le développement des arts décoratifs et publicitaires au XXe siècle.

La dynamique universitaire et muséale de la ville de Strasbourg à la fin du XIXe siècle est le reflet de l’ambitieux programme pédagogique et scientifique élaboré par le pouvoir allemand au lendemain de l’Annexion en 1871. Strasbourg doit devenir une vitrine du Reich, et se placer dans une véritable perspective européenne. Ici, l’exposition du MACMS fait écho à celle du Musée des Beaux-Arts« Wilhelm Bode, une pensée en action » qui s’intéresse plus précisément à Wilhelm Bode, directeur des musées de Berlin.

Considéré comme le plus grand conservateur de son temps, historien de l’art doté d’une exceptionnelle capacité à identifier les œuvres, Bode est chargé de reconstituer les collections du musée des Beaux-Arts de Strasbourg au lendemain des bombardements prussiens. Le modèle muséal imposé par Bode se calque sur le modèle berlinois, à vocation encyclopédique. Son action change radicalement le visage des collections strasbourgeoises, devenant un panorama très qualitatif de l’art en Europe, de la Renaissance italienne à la création allemande contemporaine. Passionné par les arts décoratifs, Bode revendique l’unité des arts : céramique, bronze, peinture, mobilier. Véritable figure tutélaire de l’époque, la personnalité de Wilhelm Bode est indispensable pour comprendre la période et le visage des collections des musées strasbourgeois tels que nous les connaissons aujourd’hui.

Max Liebermann, Wilhelm Bode, 1904 (détail)
Vue d’une salle du musée des Beaux-Arts de Strasbourg vers 1900

La dernière partie de l’exposition se concentre sur les années 20, où un vent de modernité souffle sur la vie artistique strasbourgeoise. L’art contemporain s’y développe en dehors des circuits officiels des musées, alors placés sous la direction du jeune conservateur Hans Haug. Ce sont  surtout les collectionneurs privés qui font vivre la création. La révolution se fera avec la conception d’un complexe de loisirs, visant l’intégration de tous les arts : l’Aubette. Ce projet de décoration, mené en 1928, est représentatif des recherches avant-gardistes en Europe. Cet ambitieux projet est mené par un trio d’artistes d’avant-garde : Hans Arp, Sophie Taeuber-Arp et Theo van Doesburg. Synthétisant les idées de Dada et de De Stijl, les décors sont pensés selon la volonté de Théo van Doesburg de « placer l’homme dans la peinture plutôt que devant elle ». Dans la lignée des travaux de Gerrit Rietveld, du Corbusier ou de Mies van der Rohe, l’Aubette est un témoignage remarquable de l’esthétique moderniste et une oeuvre phare de la période à Strasbourg, et en Europe.

Salon de thé de l’Aubette de Sophie Taeuber-Arp pendant les travaux

« Laboratoire d’Europe, Strasbourg 1880 – 1930 : arts, sciences, histoire » est une exposition riche et immersive, qui parvient à restituer avec justesse le bouillonnement culturel de la période et à placer la ville au niveau de Londres ou de Paris. La scénographie dynamique, allant des period rooms aux outils numériques, parvient à garder le spectateur attentif malgré la profusion d’informations. Voyage dans le temps garanti ! Bons points à souligner : énormément de documentation mise à disposition du public, et une application #StrasLab qui permet de retrouver les cartels explicatifs. Les expositions contrepoints et les collections permanentes ne sont pas à négliger pour avoir la meilleure compréhension de la période possible. Pour plus d’informations : Site des Musées de Strasbourg. 

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Titulaire d’un master en histoire de l’art contemporain à l'Université d'Aix-Marseille, je me spécialise dans la période XIXe - XXe siècle et dans les arts en Méditerranée.

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