Le poil espagnol

Jusepe de RIBERA - Femme barbue - Portrait de Magdalena Ventura, mari et fils (1631) Huile sur toile - Hospital de Tavera (Toledo)

Le Siècle d’Or espagnol (grossièrement, le XVIIème siècle) est une période assez méconnue, elle est pourtant très intéressante et sa production artistique regorge de petites pépites. La cour espagnole, sorte de huis-clos, avait besoin de divertissement et était très friande des curiosités de la nature. C’était courant dans toutes les cours d’Europe mais en Espagne, elles semblaient avoir beaucoup plus d’importance. Les nains de cour en sont un exemple, mais leurs fonctions ne s’arrêtant pas à ça, je développerai ce sujet probablement dans un autre article. –#teasing– Parlons plutôt des monstres, et plus particulièrement des poilus, voulez-vous ?

Hommes-singes, hommes-chiens, hommes-ours, voire loups-garou, la représentation de personnes à la pilosité anormalement abondante n’était pas nouvelle, puisqu’on en trouve dès le Moyen-Âge. Mais ce n’est qu’au XVIIème siècle, avec le développement des « foires de monstres », que les poilus vont gagner, si je puis dire, leurs lettres de noblesses. Fascinant aux yeux de leurs contemporains, ils seront exhibés, tels des animaux, dans les cours d’Europe.

Pire encore que ces hommes-singes (d’ailleurs  atteints d‘hypertrichose), il y a les femmes ! Elles fascinent et dérangent à la fois: femmes à barbes ou hommes travestis ? Ce sont bien des femmes: atteintes d’hirsutisme, soit une apparition d’une pilosité masculine chez la femme. Plusieurs  femmes à barbes sont restées célèbres, mais revenons donc à l’Espagne, avec le cas de Magdalena Ventura.

Jusepe de RIBERA - Femme barbue - Portrait de Magdalena Ventura, mari et fils (1631) Huile sur toile - Hospital de Tavera (Toledo)
Jose de RIBERA – Femme barbue – Portrait de Magdalena Ventura, mari et fils (1631)
Huile sur toile – Hospital de Tavera (Toledo)

José de Ribera, aussi appelé Lo Spagnoletto –il était tout petit-, était un peintre et graveur espagnol du XVIIème siècle. Il était très apprécié et sa carrière fut brillante. Parmi d’innombrables scènes religieuses et mythologiques, il s’intéressa aussi à des personnages plus populaires, représentatifs de la société espagnole de l’époque que la cour, renfermée sur elle-même, ne connaissait pas.  La Mujer Barbuda fait partie de ceux là.

Le tableau est saisissant, empreint d’une forte intensité dramatique. On y voit Magdanela au premier plan et en pleine lumière. Ses traits ne sont absolument pas féminins, mais on ne peut ignorer ce sein énorme et bizarrement situé il me semble -WTF?!!!-, qui allaite un enfant. Sa barbe noire semble bien plus fournie que celle de son mari, un peu en retrait dans la pénombre. Il me fait un peu de peine ce monsieur. –Est-il jaloux parce que sa femme a une plus jolie barbe que la sienne ? C’est probable, les hommes sont souvent susceptibles sur ce sujet décidément fort délicat- Les traits de son visage suggèrent l’affliction ou l’amertume, alors que ceux de sa femme évoquent plutôt une ferme résignation. Le tableau est assez dur – en même temps, ça ne doit pas être la fête tous les jours dans la vie d’une femme à barbe.
Outre ce fait indéniable, le traitement pictural  y joue beaucoup, notamment dans les couleurs et les lumières. Doué le p’tit José : à la manière d’un Caravage,  il met en lumière seulement quelques éléments symboliques et plonge le reste dans les ténèbres, créant ainsi un contraste et donc une tension. Par exemple, sur la droite on aperçoit des éléments identifiés généralement comme une pelote de laine, qui renvoie à la femme par le biais des travaux domestiques, et un coquillage, symbole hermaphrodite. Ironique, pour une femme plus virile que son mari. 

Et puis, il y a les inscriptions. Il est dit que les poils de Magdalena ont poussé à l’âge de 37 ans. Elle a 52 ans quand Ribera l’immortalise sur la toile, d’ailleurs commandée par Ferdinand II de Alcala, vice roi de Naples. Une telle commande n’est pas surprenante, je vous ai déjà dit que c’était la mode. « En magnum natura miraculum », cela signifie que cette femme est tout de même perçue comme un grand miracle de la nature, lui donnant ainsi le droit d’être représentée en peinture, dans la catégorie « Trucs un peu bizarres », au côté des nains et des bouffons qui ornaient déjà la maison du commanditaire. Au final, sans sa barbe, on ne parlerait surement pas encore d’elle en 2014. Le tableau est considéré comme un chef-d’oeuvre et un des tableaux les plus étranges de la production artistique de son siècle. Du coup, c’est quand même cool… non ?

On se console comme on peut.

Sources:
– BENNASSAR Bartolomé, Un siècle d’or espagnol
– http://www.fundacionmedinaceli.org/coleccion/fichaobra.aspx?id=378

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Titulaire d’un master en histoire de l’art contemporain à l'Université d'Aix-Marseille, je me spécialise dans la période XIXe - XXe siècle et dans les arts en Méditerranée.

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