Au début du mois, je découvrais la capitale portugaise. La menace du virus planait déjà sur nous, mais elle semblait encore lointaine et la situation n’avait pas encore basculé dans la crise sanitaire que nous connaissons aujourd’hui – du moins dans nos esprits. Le soleil était au rendez-vous, les températures étaient douces, et j’ai donc pu visiter la ville colorée et ses monuments.
Les ruines du couvent des Carmes
En plein centre de Lisbonne, dans le quartier du Chiado, se trouvent les ruines d’une ancienne église gothique érigée au XIVe siècle. Le 1er novembre 1755, alors que des centaines de fidèles étaient réunis pour célébrer la messe de la Toussaint, un tremblement de terre se déclare et détruit une grande partie de l’église et du couvent. Le toit de la nef s’effondre, et ne sera jamais reconstruit. Au XIXe siècle, l’engouement romantique pour les ruines et le Moyen-âge décide les autorités à conserver ce lieu en l’état, en témoignage et mémoire de la catastrophe.
En 1864, le musée archéologique, fondé pour sauvegarder les objets du patrimoine national menacés par l’abolition des ordres religieux, s’installe dans le chœur et les chapelles qui ont résisté au séisme. C’est un petit musée charmant, dont les collections regroupent divers objets (sarcophages, poteries, azulejos, tombeaux royaux, livres anciens…) retraçant l’histoire de Lisbonne du Paléolithique à la fin du Moyen-âge.
Fait insolite : la principale attraction de ce musée se trouve être deux momies précolombiennes provenant du legs de la collection du comte de Sao Januario, président de l’association des archéologues portugais. Ainsi, le musée archéologique des Carmes est un des rares musées d’Europe à exposer deux momies de façon permanente.
La visite du couvent des Carmes est idéale pour les amoureux des ruines, sensibles à l’aura romantique qui en émane encore aujourd’hui. C’est une visite agréable et pittoresque, où l’on peut croiser des touristes faisant la sieste au soleil, des étudiants des Beaux-Arts en pleine séance de croquis, ou encore des chats, fiers félins habitant les lieux comme le signale bien la médaille qui pend à leur cou.
Le Monastère des Hiéronymites et la Tour de Bélem
Ce quartier, à l’ouest de Lisbonne, réunit le monumental monastère de Hiéronymites, le Monument des Découvertes, et la Tour de Bélem.
Construit dès 1502 pour accueillir l’ordre espagnol de Saint-Jérôme, le monastère est une œuvre de grande envergure, témoignage le plus abouti du style manuélin. Ce terme, inventé au XIXe siècle, désigne l’art portugais développé sous le règne du roi Manuel 1er à la fin du XVe siècle. C’est un art extravagant, nourri par les Grandes Découvertes et par les richesses du monde entier qu’elles apportent au Portugal, au temps où celui-ci était la première puissance maritime du monde. Les motifs liés à la marine sont d’ailleurs nombreux et caractéristiques de ce style : coquillages, vagues, coraux, poissons, ancres, cordages et instruments de navigation ornent les murs et les colonnes du monastère, dans un véritable hommage à la mer et à la découverte.
Un impressionnant bestiaire est également à découvrir parmi l’abondance de motifs et d’ornements décoratifs : lions, éléphants… ces animaux originaires d’Afrique émerveillent les explorateurs du XVe siècle et sont décrits comme des animaux fantastiques dans les récits de voyage, ce qui explique sans doute leur représentation presque chimérique, bien éloignée de la réalité.
Immense, le cloitre est un lieu propice à la promenade et à la contemplation.
Non loin du monastère, une tour carrée émerge de l’eau. Construite entre 1515 et 1521 pour garder l’entrée du port de Lisbonne, la Tour de Bélem est l’autre œuvre majeure du style manuélin. Elle a longtemps servi de prison – autrefois entourée d’eau et située au centre du Tage, elle est aujourd’hui proche du rivage et accessible facilement par une simple passerelle.
Le palais de la Regaleira à Sintra
Au nord de Lisbonne se trouve Sintra, ville classée au patrimoine mondial de l’UNESCO. Elle abrite un certain nombre de palais appartenant à l’aristocratie lisboète des siècles passés. La Quinta de la Regaleira est le seul palais que j’ai pu visiter, mais je ne fus pas déçue du voyage.
L’histoire de ce palais, c’est avant tout l’histoire un peu folle de Antonio Augusto Carvalho Monteiro, millionnaire originaire du Brésil, dont la famille avait fait fortune grâce au commerce du café et des pierres précieuses. Collectionneur, érudit et probablement franc-maçon, Monteiro fait l’acquisition du domaine de la Regaleira en 1893.
Son infinie richesse lui permettra d’aller au bout de toutes ses excentricités architecturales, aidé par l’architecte et scénographe italien Luigi Manini. De ce travail d’équipe, véritable collaboration artistique, naîtra une demeure fantasmagorique où l’occulte, la mythologie, la religion et l’idéologie maçonnique se mélangent allègrement…
Ici, tout est théâtre, et les symboles sont subtilement mis en scène dans un décor où se croisent le néo-manuélisme, le gothique flamboyant, la renaissance et le romantisme… Du palais aux jardins, les métaphores se filent et les énigmes se posent.
Perdu au cœur de la végétation dense, composée de nombreuses variétés exotiques, le puits initiatique est le clou de ce voyage spectaculaire dans l’imagination et les fantasmes de Monteiro. La légende raconte qu’il servait au rite d’initiation des futurs chevaliers templiers. Œuvre maçonnique par excellence, cette tour inversée se creuse dans les entrailles de la terre, à travers 9 paliers – évocation des 9 cercles de l’Enfer, du Paradis et du Purgatoire selon la Divine Comédie de Dante – et conduit l’initié à toucher au plus près les ténèbres, pour ensuite renaitre dans la lumière. En effet, les escaliers en colimaçon (autre symbole maçonnique) débouchent sur un réseau de labyrinthes sous-terrain, humides et mal éclairés, symbolisant la quête intérieure et spirituelle, ainsi que les différents choix qui peuvent être pris au cours de la vie. Si l’initié fait les bons choix, il trouvera la bonne sortie, et pourra « renaître »…
De passage à Sintra, ne manquez pas de gôuter la spécialité locale : les travesseiros, petits feuilletés à la poudre d’amande et au sucre, qui sont tout aussi délicieux que les plus célèbres pasteis de nata. À Sintra se trouve également le Cabo da Roca, connu pour être le point le plus occidental de l’Europe. Le paysage et la vue sur l’océan y sont magnifiques.