Fermé au public depuis 2013 pour rénovation, le musée Grobet-Labadié bénéficie d’une réouverture exceptionnelle avec l’exposition Sophie Calle, Cinq. Le succès de l’exposition semble d’ailleurs assurer à ce petit musée marseillais un avenir plus confiant, puisqu’un membre du personnel m’a confié l’information d’une ouverture « au moins jusqu’en avril 2020 », date qui coïncide avec le centenaire de la donation à la ville de Marseille. Cette bonne nouvelle est l’occasion parfaite pour revenir sur l’histoire du musée Grobet-Labadié et de l’impressionnante collection qu’il abrite.
Au XIXe siècle, Marseille prend peu à peu la physionomie que nous lui connaissons, devenant puissante grâce à son commerce maritime et à ses ports. Elle connait, jusque dans les années 1880 une ère de grande prospérité, et s’épanouit dans l’aisance que lui assure l’exportation des produits de ses industries et manufactures. Plus qu’aucune autre ville, Marseille profite de l’expansion économique de la seconde moitié du XIXe siècle. Le flux incessant des hommes et des marchandises ne tarit pas et Marseille croit déjà en son glorieux avenir. Un historien local s’interroge cependant. « Pourquoi Marseille n’a-t-elle pas de monuments ? » Et les architectes s’alarment. Des grands travaux modifient alors l’urbanisme et l’architecture de la ville, qui se dote ainsi d’un nouveau port à la Joliette, de nouvelles artères haussmaniennes semblables à celles de Paris, et de nombreux édifices prestigieux qui font aujourd’hui encore l’image de la ville : Notre Dame de la Garde, le Palais de la Bourse, le Palais Longchamp, la Préfecture, le Palais des arts, ou encore la nouvelle cathédrale de La Major… Toutes ces mutations sont la volonté d’une bourgeoisie émergente, qui souhaite vivre dans un cadre de vie moderne et correspondant à son ascension sociale.
Cette nouvelle bourgeoisie est issue du commerce et se constitue en partie de négociants et d’armateurs qui se réunissent dans les cafés des ports et de la Canebière. Participant activement à la vie intense de la cité, elle se passionne pour les arts de son temps. C’est dans cette ambiance d’émulation qu’Alexandre Labadié, riche négociant en laines du Languedoc s’établit à Marseille, au début des années 1830. Il devient un grand notable républicain, conseiller municipal et préfet des Bouches-du-Rhône, président du Conseil général et député.
En 1873, il fait construire un hôtel particulier à l’angle du boulevard Longchamp et de la place Henri Dunand, sur les plans de l’architecte Gabriel Clauzel. Situé dans un quartier alors en pleine expansion (il fait face au Palais Longchamp inauguré seulement quelques années plus tôt), il est représentatif du goût des nouvelles classes dirigeantes de Marseille au XIXe siècle. Légèrement en retrait de l’alignement des immeubles, l’hôtel dresse l’ordonnance d’une architecture animée par les modulations d’une polychromie discrète, par l’alternance de briques et de pierres de tailles, répondant peut-être volontairement à la polychromie d’autres édifices marseillais tels Notre Dame de la Garde ou La Major… La façade, par ses cinq travées, déroge à la règle du « trois fenêtres marseillais » que l’on trouvait traditionnellement en ville, certainement dans une volonté de montrer le prestige et la modernité de cette famille.
Fille unique d’Alexandre Labadié, Marie Labadié reçoit une éducation très soignée, initiée à la musique et à l’art par son père qui était collectionneur. A 20 ans, et richement dotée de 715 000 Francs, elle épouse Bruno Vayson, notable du Vaucluse, propriétaire de plusieurs châteaux et grand amateur d’art. Jouissant d’une certaine aisance financière, le couple voyage et acquiert de nombreux objets d’art et France et en Italie, avant de s’installer au 140 boulevard Longchamp dans l’hôtel particulier dont Marie Vayson-Labadié hérite en 1889. La pratique de collectionneurs du couple se consacre alors entièrement à l’aménagement intérieur de l’hôtel. Le décès de Bruno Vayson en 1896 interrompt cet élan, mais dès 1897 elle se remarie avec le violoniste Louis Grobet, avec qui elle partage l’amour de la musique et la peinture. Avec lui, elle fera le tour de l’Europe et fréquente assidument l’hôtel de ventes Drouot.
La collection, riche de plus de 7000 objets acquis entre 1873 et 1917, est d’un éclectisme affirmé dès les premiers achats. Des Cahiers consignent les acquisitions et éclairent de manière chronologique les objets qui rejoignent la collection avec des informations essentielles telles une description, un nom de vendeur, une date d’achat, un prix, et parfois même un petit dessin à la plume ou au crayon. D’abord tenues par Bruno Vayson, ces chroniques de la collection sont reprises par Marie Vayson-Labadié à partir de 1896 et jusqu’en 1917 à la mort de son second mari. Meubles, tableaux, tapisseries, sculptures, faïences, tapis, soieries, instruments de musique, peintures… la collection témoigne du goût de Marie Grobet, et plus largement des élites marseillaises du XIXe siècle. Si le XVIIIe siècle occupe une place privilégiée en son sein, le Haut Moyen-âge, la Renaissance et le XIXe siècle n’en demeurent pas moins représentés. Les objets prennent place dans les diverses pièces de l’hôtel particulier : salon, boudoir, salle à manger, antichambre, mais aussi salle des primitifs, chambre Louis XV, salon Louis XVI, cabinet des faïences, salon de musique… Le tout est desservi par un escalier dont la rampe en fer forgée est richement décorée, rappelant presque à l’identique celle de l’escalier d’honneur du Château Borély.
Le décès de Louis Grobet, emporté par la grippe espagnole en février 1917, semble mettre un terme au collectionnisme de Marie Grobet. Son hôtel est entièrement aménagé, elle peut désormais se consacrer à l’avenir de son œuvre. Veuve et sans enfant, elle lègue l’intégralité de sa collection et de l’hôtel qui lui sert d’écrin à la ville de Marseille. Dans sa lettre du 15 octobre 1919, elle imagine déjà à quoi ressemblera le futur musée et insiste sur la notion de fonds clos de sa collection. Le musée est finalement inauguré le 3 novembre 1925, par le maire de Marseille Simon Flaissière, et ouvert au public dès le 25 janvier 1926. Considéré comme un « petit Jacquemart-André » marseillais, le musée Grobet-Labadié a dû subir plusieurs campagnes de travaux, notamment pour moderniser les installations électriques, tout en respectant l’esprit de sa fondatrice.
Aujourd’hui labellisé « Musée de France », il se distingue dans le paysage marseillais par le caractère intime et le charme qui s’en dégage, marqué par la personnalité de Marie Grobet qui en quelques années seulement, était arrivée aux premiers rangs de la société marseillaise. Dans une volonté de redécouvrir la richesse de cette collection et de rendre hommage à la donation de Marie Grobet à la ville de Marseille, deux nouvelles publications vont voir le jour. Le premier ouvrage, déjà publié et disponible à la vente à l’accueil du musée, est dédié à Marie Grobet et à sa pratique de collectionneuse. Le second sera consacré à la présentation et à l’analyse de la collection.
Sources :
- Benoit Coutancier (dir.), À la découverte du musée Grobet-Labadié, Une vie de collectionneuse : Les Cahiers de Marie Grobet, Musées de Marseille, 2018.
- Renée Dray-Bensousan, Hélène Échinard, Catherine Marand-Fouquet, Éliane Échinard (dir.), Dictionnaire des Marseillaises, Éditions Gaussen – Association les Femmes et la Ville, Marseille, 2012, p. 178-179.
Super article ! 🙂 Merci pour le lien!
Ce musée a l’air extraordinaire, espérons qu’il reste ouvert, car un tel témoignage de vie est fabuleux, et cependant assez rare…
Belle journée !