Marseille, le dernier atelier de Nadar

Premier grand portraitiste de l’histoire de la photographie, Félix Tournachon, dit Nadar, a surtout mené une carrière parisienne. En 1854, il ouvre son premier atelier photographique au 113 rue Saint-Lazare. Le Tout-Paris défile devant son objectif, et l’atelier devient un lieu mondain. Certains, comme Baudelaire, oublient même leur aversion pour la photographie le temps d’un portrait. On dit de Nadar qu’il « savait obtenir de chacun de ses modèles la pensée profonde et le sentiment intime ». Vite à l’étroit dans son premier studio, il déménage en 1860 au célèbre 35 boulevard des Capucines, où les jeunes Renoir, Manet, Pissarro et Monet feront la première exposition impressionniste en 1874. Portraitiste de renom, Nadar est également le pionnier de la photographie aérienne. On le voit ainsi souvent représenté en ballon, inspirant Jules Verne pour son roman Cinq semaines en ballon (1862). Un des héros de De la Terre à la Lune (1865) se nomme Ardan, anagramme de Nadar, et Jules Verne le décrit comme « Un de ces originaux que le créateur invente dans un moment de fantaisie et dont il brise aussitôt le moule. » 

Nadar, Autoportrait en ballon
Nadar élevant la Photographie à la hauteur de l’Art., lithographie d’Honoré Daumier parue dans Le Boulevard, le 25 mai 1863.

Après de nombreux désaccord avec son fils Paul sur la gestion du studio parisien, Nadar, désormais vieux et fatigué, ambitionne de venir s’installer dans le Sud. En 1895, alors qu’il se rendait à Nice, il découvre Marseille, et décide d’y rester. Cette ville lui semble idéale pour un nouveau départ. En septembre 1897, il ouvre donc son quatrième et dernier studio photographique, au 21 rue de Noailles (aujourd’hui 77, Canebière). L’enseigne rouge Nadar lui assure un succès immédiat, et son atelier devient le nouveau lieu de rendez-vous littéraire et artistique de la ville. Il y rencontre notamment Frédéric Mistral, avec qui il se lie d’amitié et qui sera un de ses premiers modèles marseillais.

« Nous sommes à Marseille, en ce bouillonnant, étourdissant et tant aimable Marseille qui me grise et que je ne me consolerai jamais d’avoir découvert si tard. »

Atelier Nadar, 21 rue de Noailles

Bien qu’importante, la période marseillaise de Nadar est de courte durée. Au tournant du siècle, des soucis de santé l’obligent à songer à sa succession. L’arrivée de Fernand Detaille  à Marseille est pour lui une aubaine, sûr de laisser son studio entre de bonnes mains. Élève de Frederic Boissonnas, un photographe suisse qui se porte garant pour le rachat de l’atelier marseillais de Nadar, Detaille prend la succession en 1901. Nadar quitte définitivement Marseille en 1904, sur ces mots :

« Oh ! oui, je t’aime, Marseille, non seulement parce que tu es belle mais combien encore plus parce que tu es bonne. »

C’est grâce à Fernand Detaille et ses descendants que le contenu du studio de Nadar a été préservé et restauré. Il est acquis en 1987 par le musée du Vieux-Marseille, qui occupait jusqu’en 2009 la Maison Diamantée, et dont les collections sont aujourd’hui visibles au Musée d’histoire de Marseille. En 1938, l’immeuble et le studio historique de Nadar échappent de peu à l’incendie des Nouvelles Galeries. En 2001, ils sont sauvés de la démolition. Le catalogue d’exposition Marseille au temps de Nadar, datant de la même année, évoque avec bon espoir la transformation de l’atelier en musée de la Photographie. Le Professeur Roger Luccioni, alors délégué aux musées, monuments historiques, archives et bibliothèques, souligne les efforts de la ville pour la restauration du patrimoine marseillais et sa mise en valeur. Dans ce film très intéressant de 2009, Gérard Detaille, le petit-fils de Fernand Detaille, explique le projet dont il rêve pour l’avenir du studio Nadar.

Pourtant, on sait aujourd’hui le triste sort qu’a connu l’atelier marseillais, « le dernier studio de photographe professionnel du 19ème siècle à ce jour connu et préservé en France et sans doute au-delà » selon la DRAC. Le 15 juin 2014, la toiture de l’immeuble s’effondre. L’atelier est presque entièrement détruit. Bientôt 3 ans après, l’enquête est toujours en cours. Par ses mauvais choix et son désintérêt pour le patrimoine urbain local, Marseille a ainsi perdu un vestige inestimable, et avec lui, l’hypothèse d’un nouveau musée.

À lire sur la destruction de l’atelier : 

Sources :

Marseille au temps de Nadar, 2001, Editions Parenthèses / Musées de Marseille

Titulaire d’un master en histoire de l’art contemporain à l'Université d'Aix-Marseille, je me spécialise dans la période XIXe - XXe siècle et dans les arts en Méditerranée.

2 Comments

    • Merci pour ce commentaire ! Ça fait toujours plaisir d’avoir des réactions des lecteurs (et c’est rare !)
      D’autres articles dans cette lignée sont prévus ! 🙂

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