I like Joseph Beuys and Joseph Beuys likes me

Joseph Beuys est sans aucun doute l’un des mes artistes du XXème siècle préférés. A la fois autobiographique et métaphorique, son oeuvre est inséparable de sa vie et de son vécu.

La légende raconte qu’en 1943, alors que Joseph Beuys était chasseur bombardier pour la Luftwaffe (armée de l’air allemande), il s’écrase en Crimée. L’hiver était rude, il se retrouve seul, perdu et blessé. Il ne doit sa survie qu’à une tribu de nomades qui le soignent, le réchauffent et le nourrissent avec de la graisse animale, du feutre et du miel. Probablement inventée de toutes pièces, cette histoire signe néanmoins le début de sa mythologie individuelle, ou du moins celle du personnage qu’il incarne. Ces trois éléments (graisse, feutre, miel) sont entièrement constitutifs de son oeuvre, et hanteront sans cesse ses sculptures, ses toiles et ses performances.

Il se dit marqué par la sculpture de Wilhelm Lehmbruck (un des pionniers de la sculpture allemande du XXème sièce), Jean Arp, Auguste Rodin et Alberto Giacometti. Son oeuvre sculpturale est chargée d’une dimension morale et anthropocentrique. Dans la lignée de l’art pauvre, il utilise des matériaux organiques, pouvant être soumis à des changements d’états et à des flux d’énergies. Il parle aussi de « sculpture sociale », remettant en question la conception traditionnelle de l’art et de l’artiste marginal : « Chaque homme est un artiste » affirme-t-il.

Avec son personnage identifiable grâce à son chapeau et à son gilet, et son penchant vers une oeuvre d’art totale, c’est tout naturellement que Beuys se met à la performance. Il fut un temps proche de Fluxus*. Plus que jamais, il se fait chaman, guérisseur, invoquant l’esprit des animaux dans des actions aux allures de rites, où il aborde des notions fondamentales comme la vie, la mort…

Wie man dem toten Hasen die Bilder erklärt

Comment expliquer la peinture a un lièvre mort (Wie man dem toten Hasen die Bilder erklärt) est une performance présentée le 26 novembre 1965 à la galerie Schmela, à Düsseldorf. La tête recouverte de miel et de poudre d’or, Joseph Beuys tient un lièvre mort dans ses bras, comme un enfant. Pendant 3 heures, les spectateurs peuvent ainsi regarder l’artiste déambuler dans la galerie, tenant le lièvre avec délicatesse. Il lui parle, lui montre les tableaux. Hautement symbolique (le lièvre est un symbole de renaissance), cette performance a marqué les esprits, l’artiste devenant presque une sculpture vivante, mobile. 

I like America and America likes me est certainement sa performance la plus célèbre. Présentée en mai 1974 à la galerie René Block, c’est elle qui incarne véritablement l’action chamanique de Beuys. Egalement son sens de la mise en scène. 

Emmitouflé de feutre, Joseph Beuys est pris en charge sur civière par une ambulance à son domicile, à Dusseldorf. Destination les Etats-Unis : il prend l’avion, sans jamais quitter son étoffe fétiche. A son arrivée sur le territoire américain, une seconde ambulance le prend en charge, surmontée d’un gyrophare et escortée par les autorités américaines : elle le transporte jusqu’à la galerie René Block, de façon à ce que l’artiste ne foule jamais le sol américain, si ce n’est celui isolé de la galerie. En effet, il avait juré de ne plus poser un seul pied aux Etats-Unis tant que la guerre ferait rage au Viêt Nam. Il va ensuite cohabiter pendant trois jours entiers avec un coyote sauvage, venant du désert du Texas. Enfermés dans la galerie, ils vont apprendre à s’apprivoiser, partageant le feutre et la paille. Cette fois encore, ils sont observés par des visiteurs extérieurs, et chaque jour, un exemplaire du Wall Street Journal leur est livré. Au bout de trois jours, il repart comme il est venu. 

Le coyote est ici le symbole des populations Amérindiennes, exterminées par les Blancs.  Cette performance est souvent interprétée comme une tentative de réconciliation entre les deux peuples du continent américain. Elle évoque aussi les tentions qui divisent alors les Etats-Unis et les pays de l’Est. Dans tous les cas,  Joseph Beuys place toujours l’être humain au centre de ses  réflexions et de son oeuvre, et semble toujours investi d’une ambition écologique, voire utopique. 

L’oeuvre de Beuys est adorée ou détestée. Il réunit l’art et la vie, tout jouant sur les symboles et les allégories. Au delà de l’action, il laisse des images à l’esthétique marquante, la silhouette de feutre jouant avec le coyote devenant presque sa signature. A partir des années 60, les performances se multiplient, mais Joseph Beuys a su s’imposer à l’international comme un artiste majeur de l’art contemporain. 

* Fluxus est une réunion d’artistes actifs aux Etats-Unis, en Europe et jusqu’au Japon, nourris d’une réflexion profonde sur la nature de l’art et le rôle de l’artiste. L’esprit de Fluxus s’est particulièrement distingué dans la publication de revues et l’organisation de festivals, en marge des circuits artistiques traditionnels. Les plus célèbres représentants de la mouvance sont John Cage, Nam June Paik, La Monte Young ou Yoko Ono. C’est dans ce cadre que l’action s’est développée comme mode d’expression artistique privilégiée.  

Titulaire d’un master en histoire de l’art contemporain à l'Université d'Aix-Marseille, je me spécialise dans la période XIXe - XXe siècle et dans les arts en Méditerranée.

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