Alla Nazimova, une Salomé Art Nouveau

edd2a955b9aac108159aa546cea5b2edNée en 1879 en Ukraine, Alla Nazimova est une actrice russe et américaine, star du théâtre puis du cinéma muet. Elle se distingue tout d’abord par sa grande maitrise des langues et de la danse. En effet ses talents polyglottes lui permettent, à son arrivée aux Etats-Unis en 1905, de jouer des pièces pour les émigrés de divers horizons : Russie, Allemagne, France, Italie… Elle signe à la Metro Pictures Corporation en 1916, avec qui elle tournera onze films, lui assurant un succès phénoménal. Comme toute star hollywoodienne qui se respecte, elle se fait construire une villa somptueuse, baptisée The Garden of Alla, où elle donnera des fêtes et réceptions à la hauteur de sa réputation sulfureuse et lieu populaire de lintelligentsia hollywoodienne qui s’y réunissait en salons dans lesquels la littérature, lart, et le théâtre étaient discutés longuement.  Personnage atypique au caractère bien trempé, Nazimova est en effet connue pour ses multiples relations lesbiennes, alors très mal vues par l’Amérique puritaine. Pour pallier à cela, elle épousera Charles Bryant, acteur lui-même homosexuel, qui deviendra alors son partenaire à l’écran.

C’est avec lui qu’elle quitte la Metro, pour produire elle-même une adaptation de la pièce Salomé, d’Oscar Wilde. Publiée en 1891 en français par Wilde, la tragédie sera traduite en anglais trois ans plus tard. Elle met en scène des personnages bibliques : Salomé, princesse juive, fille d’Hérodiade et belle-fille du Tétrarque de Galilée, Hérode. Dans la version de Wilde, Salomé tombe amoureuse de Iokanaan (Jean le Baptiste), que son beau-père avait jeté en prison pour mettre fin à ses critiques contre  son mariage avec Hérodiade. Iokanaan rejette cependant les avances de la princesse. Lors d’un banquet organisé pour l’anniversaire du Tétrarque, Salomé exécute pour lui la danse des sept voiles, et obtient ainsi de son beau-père une faveur : « Demande-moi ce que tu voudras… Ce que tu me demanderas, je te le donnerai, fût-ce la moitié de mon royaume » Salomé, par vengeance et pour faire plaisir à sa mère qui souhaitait sa mort, lui demande la tête de Iokanaan sur un plateau d’argent.

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Aubrey Beardsley, illustration de Salomé

Le film réalisé par Nazimova et Bryant en 1923 est un film d’avant-garde, un des rares films expérimentaux de cette époque d’après-guerre, où Hollywood était en plein essor. Conformément aux illustrations de Aubrey Beardsley, artiste contemporain d’Oscar Wilde,  le film présente des décors et des costumes complètement Art Nouveau,  marqués par des courbes, des décors floraux, et un certain côté décadent. Dans Salomé, Nazimova peut mettre en avant ses talents de danseuse et son charme atypique, qu’elle accentue de nombreuses mimiques et moues exagérées. Elle propose une réactualisation du mythe de Salomé au cinéma, tout en s’inscrivant parfaitement dans la lignée de Baudelaire, Huysmans, Wilde et Beardsley, qui en font une tentatrice sensuelle à la beauté dangereuse. Ce n’est pas pour rien que Salomé devient une véritable obsession pour les symbolistes et les décadents de la fin-de-siècle. Symbole, voire icône du désir féminin, elle réunit en elle-même de nombreux thèmes qui leur sont cher : orientalisme, séduction, perversion, tentation, mort… Tous ces thèmes sont bien adaptés à l’écran par Nazimova, le cinéma permettant également de produire une oeuvre d’art totale. La danse, notamment, tient une grande place.

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C’est peut-être parce qu’il s’inscrit dans cette lignée esthétique, inaugurée par les réflexions de Baudelaire et adaptant les formes modernes de l’Art Nouveau, que le film fut un échec retentissant. Financé intégralement par Alla Nazimova, qui ne s’est rien refusé en matière de décors et de costumes, elle est alors ruinée, rejetée par Hollywood et elle tente de se suicider. Pour autant, le film reste remarquable par la beauté de chaque plan, le soin apporté à la mise en scène. Tantôt femme-enfant évoquant la Fée Clochette, tantôt femme fatale pleine de puissance, le charisme de Nazimova transperce l’écran. Malgré le fait que le film marque plus ou moins la fin de sa brillante carrière, elle reste une figure forte de femme indépendante et avant-gardiste. Elle est la première femme à s’émanciper des studios de production d’Hollywood et à réaliser sa propre société, où elle occupe tous les rôles : réalisatrice, productrice, décoratrice, actrice… On retient également son combat pour l’émancipation des femmes au théâtre :

« Pourquoi je préfère jouer Ibsen ? Tout simplement parce que Ibsen ne met pas en scène des héroïnes. Shakespeare lui le fait. Il y a de la grandeur, de la simplicité chez elles. Les femmes de cette époque étaient peut-être comme ça. Shakespeare les a peintes telles qu’il les a vues. Le rôle des femmes a beaucoup changé. La femme moderne est bien plus complexe. Elle sait plus de choses, fait plus de choses et doit être reconnue comme telle. Shakespeare montrait les femmes telles qu’elles étaient. Ibsen montre les femmes telles qu’elles devraient être.»

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Sources :

Titulaire d’un master en histoire de l’art contemporain à l'Université d'Aix-Marseille, je me spécialise dans la période XIXe - XXe siècle et dans les arts en Méditerranée.

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