Petits coups de putes entre amis.

En histoire de l’art, on a coutume de faire débuter la Renaissance italienne avec un événement survenu au début du Quattrocento (le XVe siècle), et plus précisément en 1401: le concours pour les portes du baptistère de Florence. 

Je dois d’abord vous expliquer un peu le contexte.
Nous sommes donc en 1400. Florence, brillante cité-état (l’Italie n’était pas unifiée à l’époque), était le siège de sept principales corporations de métier. Ces corporations avaient de larges pouvoirs et se disputaient sans cesse entre elles pour paraître plus riche et puissante que les autres.  Du coup, elles n’hésitaient pas à se payer les services des meilleures putes des meilleurs artistes pour orner leurs bâtiments et en mettre plein la vue à tout le monde. Ouaip, ça rigolait pas.
En 1401,  la corporation florentine des marchands de laine et de draps, l’Arte di Calimala, organise un concours ouvert « aux maîtres talentueux de tous les pays d’Italie » pour la création d’une seconde porte pour le  baptistère San Giovanni. Les sept mecs les plus modestes du monde tentent alors  leur chance. Parmi eux: Lorenzo Ghiberti et Filippo Brunelleschi.

ROUND ONE. 
Pour gagner le concours et donc le droit de réaliser la fameuse porte du baptistère qui donnera amour, gloire et beauté  gloire et richesse au vainqueur, les concurrents devaient sculpter un panneau en relief dont le thème était « Le sacrifice d’Isaac », ce moment de l’Ancien Testament où Dieu met à l’épreuve un mec qui s’appelle Abraham, en lui demandant de tuer son fils unique afin de prouver sa foi. Alors Abraham obéit, mais EVIDEMMENT, comme dans les films,  un ange surgit de nulle part  au dernier moment (avec un ralenti et une musique épique en fond, tout ça…) et sauve le p’tit Isaac de la folie meurtrière de son papa, et lui offre aussi un agneau pour qu’il le sacrifie à la place. C’est classe la Bible quand même. Moi j’aime bien.

Filippo BRUNELLESCHI, Le Sacrifice d’Isaac – 1401 – Bronze partiellement doré, 41 cm x 39 cm – Musée national du Bargello, FLORENCE
Lorenzo GHIBERTI, Le Sacrifice d’Isaac – 1401 – Bronze partiellement doré, 44 cm x 38 cm – Musée national du Bargello, FLORENCE

AND THE WINNER IIIIIIIS….. GHIBERTIIIII ! *clapclapclap*

On ne possède que deux sources concernant ce concours: un texte de Mister Ghiberti himself qui vante sa victoire (normal), et un autre d’un pote de Brunelleschi qui raconte qu’en fait, la victoire avait été attribuée ex-æquo aux deux sculpteurs mais que Brunelleschi, très orgueilleux, avait refusé de partager la victoire et l’aurait donc laissé à Ghiberti. Il faut souligner le fait que l’art de Ghiberti était très classique et correspondait aux normes de l’époque, alors que celui de Brunelleschi était complètement nouveau, et supérieur aussi. Les juges s’en sont bien rendu compte mais ça fait toujours peur de se lancer dans l’inconnu, ils n’ont donc pas voulu prendre de risques. Ainsi debuta la Renaissance italienne. On ne sait pas vraiment qui dit la vérité sur la victoire, et on s’en fout un peu. En fait, l’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais non. Parce que sinon, ça n’aurait pas été drôle et je ne vous en parlerais surement pas.

Donc, il faut savoir que Brunelleschi avait un bon gros caractère de cochon. Et qu’il était très mauvais perdant, apparemment. Gagnant ex-æquo ou perdant, il fait son petit caca nerveux. « VOUS NE COMPRENEZ RIEN A MON ART BANDE DE NULS, PUISQUE C’EST COMME CA J’ABANDONNE LA SCULPTURE ET J’ME CASSE A ROME! CIAOOO! »  Aussitôt dit, aussitôt fait ! On ne sait pas grand chose de ce voyage, si ce n’est qu’il se fit en compagnie de Donatello (non, pas la Tortue Ninja, un peu de sérieux oh) et qu’il avait pour but d’étudier les ruines de la Rome antique.

Pendant ce temps, Ghiberti, devenu riche et célèbre comme prévu, travaillait sur la fameuse porte, qu’il mettra quand même 22 ans à finir… C’est long, mais elle fut fort appréciée, heureusement pour lui.

Dégoûté de la sculpture, notre bon Filippo se consacra donc à l’architecture, qu’il étudia à Rome. Il va y rester un moment, avant de revenir à Florence, où on avait un sérieux problème. En effet, on était en pleine construction de la cathédrale Santa Maria del Fiore, que l’on avait voulu immense et sublime pour encore une fois, surpasser les autres villes. Sauf que les mecs, ils avaient pas pensé a absolument tout. Une fois la construction quasiment terminée ils se sont rendu compte que l’espace à couvrir était beaucoup trop grand pour construire une coupole avec les techniques connues de l’époque, et notamment avec la technique du cintrage. Du coup, leur somptueuse cathédrale, pour le moment, elle avait un trou immense à ciel ouvert, j’vous raconte pas la galère les jours de pluie… Les autorités de la ville ont fait appel a des dizaines et des dizaines d’architectes, tous proposaient des solutions plus ou moins farfelues mais personne ne trouve de solution, rien ne marche, C’EST LA CRISE !!! Et c’est ce moment que Brunelleschi a choisi pour faire son grand retour…

ROUND TWO. BRUNELLESCHI CONTRE ATTAQUE.
(Imaginez le thème de Dark Vador dand votre tête svp, c’est pour donner une intensité dramatique à mon article.)
Il l’avait lui, la solution, grâce a l’études des bâtiments antiques qu’il avait pu faire a Rome, une solution révolutionnaire, qui permettrait de construire le dôme sans cintres. S’il avait seulement 24 ans lors du concours de 1401, nous sommes maintenant dans les années 1420, il a mûri et compris que les gens ne sont tout simplement pas prêts à la nouveauté, au changement. C’est pour cela qu’il avait été refoulé pour les portes du baptistère. Et il ne veut pas revivre cela, peucherette.

Il va organiser une grande réunion avec tous les architectes de la ville, afin de pousser jusqu’aux limites leurs méthodes, vieilles et complètement inutiles pour le cas de Santa Maria del Fiore. Au dernier moment, dans un élan super théâtral, il  intervient pour proposer sa solution, qui paraîtra alors merveilleuse, géniale et surtout efficace, par rapport à tout ce qui avait été proposé auparavant !

Oui. Mais non.
Sa solution est refusée une fois de plus, mais comme si ça ne suffisait pas, on le jette dehors, il est obligé de se cacher des jours ENTIERS chez lui pour éviter les moqueries etc… (Séquence émotions, musique triste au piano, Brunelleschi regarde à travers sa fenêtre la pluie tomber sur Florence, il se sent incompris….)
Nan j’déconne,  il se cache mais garde son calme et va continuer à affirmer sa technique comme étant réalisable et efficace. Quelques personnes sont finalement intéressées, mais pas franchement convaincues, alors pour le tester on va lui confier une petite église où il doit réaliser une coupole selon sa fameuse technique de fou.

Et devinez quoi ? CA MARCHE! HALLEEEELUUJAAAAAHHH ! Forcément on accepte enfin de lui confier la coupole de Santa Maria del Fiore, mais, car il y a décidément toujours un « mais » pour ce pauvre Filippo, on choisis quand même de lui coller dans les pattes son ennemi ultime, son rival de toujours, l’affreux, le terrible… GHIBERTI. Juste comme ça, au cas où, pour surveiller.
Etant surement le mec le plus têtu du Quattrocentto, qui veut la gloire A LUI TOUT SEUL, il mis au point un petit plan machiavélique… Au moment absolument décisif où il fallait décider quelle courbure prendre pour construire la coupole, IL SE MET EN MALADIE MONSIEUR ! Rien que ça. Et du coup, Ghiberti doit se démmerder tout seul, sauf qu’en fait, c’est pas si simple, il se rend compte qu’il en est incapable et que seul Brunelleschi comprend cette théorie si nouvelle et particulière… Tout le monde retourne alors vers Brunelleschi, qui attendait patiemment son heure au fond de son lit, afin de le supplier de revenir pour terminer enfin la construction de cette p****n de coupole. Oui monsieur aime se faire désirer. Il revient, il dirige les travaux tel un maestro, il prend sa revanche sur Ghiberti mais aussi sur toute Florence qui n’avait pas cru en lui jusqu’alors… Il est enfin parvenu à ses fins.

La voilà, toujours là 600 ans plus tard. Elle est belle hein? Un des plus grands succès de la Renaissance, qui suscita l’admiration de ses contemporains et encore aujourd’hui. Brunelleschi peut être fier, il ne s’est pas obstiné en vain et son petit orgueil doit être pleinement satisfait de savoir qu’on parle encore de lui et de son génie dans les cours d’histoire de l’art.
Filippo, si tu m’entends, j’te kiffe !

Titulaire d’un master en histoire de l’art contemporain à l'Université d'Aix-Marseille, je me spécialise dans la période XIXe - XXe siècle et dans les arts en Méditerranée.

0 Comments

  1. J’ai eu un cours qui racontait exactement la même chose, mails là « ça le fait encore plus » 😉
    Je te partage ton blog et page à tous mes amis archis. Tu gères Lisa, je te souhaite d’avoir le courage de continuer ce merveilleux blog et d’avoir tous pleins de vues! Et bonnes fêtes aussi!

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