De la station sanitaire maritime au musée Regards de Provence

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1947 : la façade sur le port

Face au Mucem et à la mer se dresse un autre musée, plus discret, et bien moins connu que son voisin. Le Musée Regards de Provence s’intègre si bien dans le paysage urbain du quartier qu’il en devient presque invisible aux yeux des touristes et des marseillais. Pourtant, le bâtiment dans lequel il prend place est chargé d’histoire, et s’inscrit pleinement dans celle de la ville de Marseille.

À partir du XVIIe siècle, Marseille connait un développement économique basé sur le commerce maritime. Cet essor commercial fait si bien prospérer la ville qu’à la fin du XVIIIe, Marseille est le premier port de France et de Méditerranée. Cependant, les bateaux venus d’Orient et d’ailleurs n’apportaient pas que des richesses. La ville, pour se protéger des nombreuses épidémies qui la menaçaient, dut très tôt développer un service sanitaire de pointe. Les îles de l’archipel du Frioul servaient de quarantaine, tandis qu’en 1719, les bâtiments de la Consigne sanitaire sont édifiés au pied du fort Saint-Jean. Malgré toutes ces précautions, la Peste arrive en 1720, à bord du Grand Saint-Antoine, et décime plus de la moitié de la population. Après cet épisode noir, les règles sanitaires furent renforcées. Une organisation bien huilée, où chaque navire venant « du Levant ou de Barbarie » faisait escale au port de Pomègue et où son capitaine devait remettre sous serment une lettre patente aux intendants de la Consigne. À Arenc, le Lazaret assurait la désinfection des passagers et des marchandises.

Scène de la peste de 1720 à la Tourette (Marseille), tableau de Michel Serre (musée Atger, Montpellier)

Au XIXe siècle, l’essor de la navigation à vapeur et du tourisme nécessite un renforcement des contrôles sanitaires à l’entrée de la ville. Si la Peste ne menace plus Marseille, elle doit affronter d’autres fléaux : le choléra et la fièvre jaune, puis le typhus au début du XXe siècle. L’hôpital Caroline est construit au Frioul en 1823, surnommé « l’hôpital du vent ». Les installations sanitaires se modernisent peu à peu, et les réglementations évoluent au rythme des découvertes scientifiques et médicales, qui rendent finalement obsolètes les lazarets.

En 1945, la Peste est à Oran, inspirant le roman de Camus. Marseille doit à nouveau faire face, à l’heure des vaccins, des antibiotiques et du dichlorodiphényltrichloroéthane. Le Docteur Montus, chargé du contrôle sanitaire aux frontières maritimes, décide de la création d’une station sanitaire moderne. Erigé par les architectes Champollion, Fernand Pouillon et René Egger en 1948, ce bâtiment est situé à l’endroit stratégique du quai de la Tourette, à proximité des ports. Cette station prophylactique devait ainsi remplacer la quarantaine et le lazaret en proposant un dépistage complet et systématique des voyageurs désirant entrer dans la ville. Cette sorte de douane médicale devait accueillir toutes les installations modernes, et proposait un circuit étudié, où les entrants ne croisaient jamais les sortants. Si les douches communes et les chambres à gaz devaient évoquer de sinistres souvenirs, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, on peut souligner tout le soin des architectes pour faire de ce lieu un endroit chaleureux et confortable, où la lumière vibrante de Marseille est au coeur de l’architecture. Les réalisations de Fernand Pouillon sont caractérisées par l’utilisation de matériaux traditionnels et nobles : la pierre, l’acier, le verre, la céramique, et le bois. De forme triangulaire, la station évoque la proue d’un navire et l’architecture paquebot, faisant de ce bâtiment une oeuvre à la charnière du mouvement moderne, sans nuire à l’environnement urbain de Marseille, à deux pas de la Cathédrale la Major.

1947 : la façade sur l’avenue Vaudoyer vers la Tourette, La Major en arrière-plan
1947 : la façade sur l’avenue Vaudoyer vers la Tourette, le fort Saint-Jean et le Pharo en arrière-plan
1947 : aperçu de l’intérieur
1947 : aperçu de l’intérieur

La station sanitaire maritime de Marseille, destinée à accueillir 3000 arrivants chaque jour, restera un prototype unique et n’aura finalement que très peu servi. Aucune véritable épidémie ne vint troubler la ville. Les rapides progrès de la médecine, la découverte de la pénicilline et les nouvelles règlementations sanitaires de 1951 la rendirent alors obsolète à son tour. Elle sera entretenue jusqu’en 1970, puis fermée en 1971. L’établissement sera peu à peu désaffecté, laissé à l’abandon. Longtemps occupé par des squatteurs, il sera menacé de destruction dès les années 2000. L’intervention de la DRAC PACA le sauve de justesse, en l’inscrivant aux Monuments Historiques, labelisé Patrimoine du XXe siècle. Malgré la patrimonialisation de l’édifice, il est à nouveau menacé en 2009 par le projet de réaménagement du territoire urbain marseillais. Dans un état de ruine considérablement avancé, la station sanitaire maritime de Marseille, semblait destinée à un avenir funeste.

En 2011, pourtant, la Fondation Regards de Provence annonce l’acquisition de la station, et son projet de reconversion en musée. En effet, depuis sa création en 1998 par un couple de collectionneurs et mécènes marseillais, les Dumon, la Fondation Regards de Provence n’avait pas de lieu fixe pour installer sa collection. Après avoir exposé de manière temporaire au Palais des Arts ou au Château Borély, c’est finalement dans la station sanitaire qu’elle prend définitivement place, après une rénovation complète de l’édifice. L’objectif était de conserver la mémoire du lieu, tout en proposant un espace muséal moderne. La collection Regards de Provence met en avant la production artistique marseillaise et provençale sur quatre siècles, et trouve dans ce lieu un écrin privilégié, où résonne l’histoire de la ville. Le lieu offre désormais 2 300 m2 de surface, comprenant quatre espaces d’exposition, un restaurant avec terrasse, une librairie, une boutique L’Occitane et un espace de réception. Il est inauguré en janvier 2013, à l’occasion de Marseille-Provence 2013, « capitale européenne de la culture », et ouvre définitivement ses portes en mars 2013. S’inscrivant dans le renouveau du quartier Euroméditerranée et dans sa dynamique culturelle, l’édifice retrouve ainsi sa fonction de porte d’entrée sur le territoire marseillais.

Photo de Bernard Ddd

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Titulaire d’un master en histoire de l’art contemporain à l'Université d'Aix-Marseille, je me spécialise dans la période XIXe - XXe siècle et dans les arts en Méditerranée.

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