George Desvallières, la peinture corps et âme

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Lors de mon court séjour à Paris, je n’ai pas manqué d’aller découvrir la première rétrospective consacrée au peintre George Desvallières au Petit Palais, peintre important au tournant du XIXe et XXe siècle. Son oeuvre est caractérisée par différents styles, évolution que donne à voir l’exposition à travers 90 oeuvres. Si durant 60 ans, son art n’a cessé d’évoluer, parallèlement à sa spiritualité, il restera toujours marqué par une tension entre le corps et l’âme, comme le souligne le titre de l’exposition.

George Desvallières, Autoportrait, 1891 Collection Domitille Desvallières-Rousse
George Desvallières, Autoportrait, 1891 Collection Domitille Desvallières-Rousse

Né sous l’influence de Gustave Moreau dans la mouvance symboliste, l’art de George Desvallières porte aussi la marque de l’enseignement de Jules-Elie Delaunay, rénovateur de la peinture classique et portraitiste de talent. L’artiste ne manque pas de fréquenter l’académie Julian également, dont les séances d’études de modèles vivants éveillent son oeil, son trait, et son intérêt pour le corps humain. Ses premières toiles se présentent ainsi sous la forme de portraits majestueux de son entourage, saisis sur le vif. Son talent y est déjà évident, et ces toiles connaitront un accueil favorable au Salon des artistes français dès 1883. Il inaugure son entrée au Salon avec un magnifique portrait de sa jeune soeur, Georgina. Il obtiendra plusieurs médailles, lui assurant une belle carrière et un nom.

« Delaunay m’a donné le souci du dessin, mais Gustave Moreau, c’est le flambeau qu’il m’a transmis. » 

L’éloge du corps va être au coeur de ses préoccupations artistiques, non seulement par les influences respectives de ses maitres, mais également par celle de son grand-père qui possède une école d’escrime où la pratique du sport est vivement encouragée. L’éducation physique permet de forger l’esprit et l’âme. Un esprit sain dans un corps sain, comme on dit. Cette attention à l’anatomie se trouve dans certaines oeuvres, dont le style semble calqué sur celui de Moreau, dans une veine résolument symboliste. J’ai particulièrement aimé les petites esquisses au crayon, qui révèlent vraiment sa maitrise du dessin. comme son maitre, il traite principalement des sujets mythologiques comme Narcisse, Orphée… Il semble également accorder une grande importance au décoratif.

« Gustave Moreau, c’est le triomphe de la beauté spirituelle sur la beauté plastique. »

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Mais Moreau meurt en 1898, et Desvallières se retrouve sans mentor. Peu à peu, il se détache alors de son emprise esthétique. Il adopte ainsi une nouvelle manière de peindre, en rupture avec le symbolisme de sa jeunesse. Cette partie de son oeuvre se rapproche alors plus d’un Degas ou d’un Toulouse-Lautrec, dans l’observation de la vie nocturne londonienne puis parisienne, dans les théâtres, les cafés et les grands hôtels. Son trait y est plus libre, plus vif, mais tout aussi maitrisé.

George Desvallières, Un coin du Moulin- Rouge, 1904. Collection particulière Paris
George Desvallières, Un coin du Moulin- Rouge, 1904. Collection particulière Paris

De retour à Paris, il fonde en 1903 avec l’architecte Frantz Jourdain le Salon d’Automne, dont il sera le vice-président : ce Salon a pour but d’être pluridisciplinaire et de présenter les expressions contemporaines les plus diverses, tout en donnant à de jeunes artistes la chance qu’ils n’obtenaient pas auprès des autres Salons parisiens. La première édition se tiendra justement au Petit-Palais. Cézanne, Matisse, Maillol, van Dongen, Brancusi, Modigliani, Herbin, Duchamp et bien d’autres maitres de l’art moderne vont ainsi s’exposer au Salon d’Automne,  les avant-gardes du fauvisme puis du cubisme que George Desvallières défendra face à la critique impitoyable.

« […] Mes amis et moi, au comité, nous avons voulu, non seulement donner au Salon d’Automne une direction artistique tout opposée à celle des autres salons, prenant et choyant surtout les artistes refusés ailleurs. »

La spiritualité est d’une importance croissante pour George Desvallières à cette époque, lui qui avait été élevé dans une famille peu pratiquante. Il rencontre Joris-Karl Huysmans, écrivain français proche de Moreau, principal représentant de l’esthétique fin-de-siècle décadente et symboliste, qui a exploré les confins du mysticisme et du satanisme avant de se convertir au catholicisme fervent dans la dernière partie de sa vie. Il encourage Desvallières dans une recherche spirituelle similaire, épaulé dans cette démarche par Léon Bloy. La conversion de Desvallières va déterminer une nouvelle orientation de sa peinture, puisqu’il peint de plus en plus de sujets religieux. Sa palette est de plus en plus colorée.

George Desvallières, Annonciation, 1910, Huile sur toile, 136 x 95 cm; Collection particulière
George Desvallières, Annonciation, 1910, Huile sur toile, 136 x 95 cm; Collection particulière

« C’est sous le feu violent de l’ennemi que j’ai fait le vœu de ne plus consacrer mon art qu’à la peinture religieuse si Dieu me conservait la vie. »

La guerre de 14-18 va déclencher un retour à la religion en France, et Desvallières, responsable d’un bataillon de chasseurs dans les Vosges, se bat avec foi et patriotisme pour son pays. A son retour du front, indemne, il consacre entièrement sa peinture à Dieu, avec une grande ferveur. Il fonde les Ateliers d’art sacré avec Maurice Denis, peintre nabi tout aussi pieux, où ils forment une nouvelle génération de jeunes peintres et luttent contre l’académisme religieux et l’imagerie saint-sulpicienne. La dernière partie de l’exposition présente ainsi ses dernières oeuvres, souvent monumentales. Son originalité se distingue véritablement dans le traitement des sujets religieux, très moderne, qui peut parfois évoquer la BD dans le geste très libre. C’est  dans sa peinture religieuse que son indépendance de peintre s’exprime.

« Ce que nous représentons sur une toile, ou que nous taillons dans un marbre, n’est que le prétexte à cet épanchement de notre être. Et quel que soit le sujet rendu, que ce soit l’Olympia de Manet, la Sainte-Famille de Léonard de Vinci ou une nature morte de Chardin, l’artiste devrait toujours dire : « Voilà ce que j’ai vu de Dieu. » »

George Desvallières, La Grèce (Childe Harold), 1910. Huile sur toile, 143 x 158 cm. Collection particulière.
George Desvallières, La Grèce (Childe Harold), 1910. Huile sur toile, 143 x 158 cm. Collection particulière.

J’ai aimé découvrir au fil de l’exposition les visages gracieux des portraits, les couleurs chatoyantes des cycles plus décoratifs, l’aspect charnel de certains tableaux et même la foi débordante des oeuvres de la fin de sa vie. J’ai aimé découvrir un homme, touchant dans ses démarches spirituelles et dans sa peinture, marqué par son admiration pour Gustave Moreau, puis par la guerre, dévastatrice. L’exposition est à voir jusqu’au 17 juillet 2016 !


Pour en savoir plus :

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Titulaire d’un master en histoire de l’art contemporain à l'Université d'Aix-Marseille, je me spécialise dans la période XIXe - XXe siècle et dans les arts en Méditerranée.

4 Comments

  1. Chère Lisa, votre site est très bien construit, et passionnant. Bravo pour l’ensemble de vos articles. tout est très intéressant. C’est une mine de culture et d’informations !…

    • Bonjour, je vous remercie pour votre commentaire. Je suis ravie que mon contenu vous plaise. N’hésitez pas à vous abonner pour ne pas manquer les nouveaux articles… 🙂 A bientôt.

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