Spiritisme, fantômes et photographie au XIXe siècle

Il y a une semaine, je voyais Crimson Peak au cinéma, où une scène me rappela cette idée d’article que j’avais eu il y a quelques temps, comme suite à l’article sur les photographies post-mortem du XIXe siècle. Aujourd’hui, et en adéquation avec le thème d’Halloween, je vous parle donc de spiritisme, de fantômes, et autres apparitions inquiétantes, dans la photographie.

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William Hope

En France, le spiritisme connait une apogée sous le Second-Empire, notamment grâce à son principal théoricien : Allan Kardec, aujourd’hui inhumé au cimetière du Père Lachaise. Il est facile à trouver : sa tombe est la plus fleurie, étant devenue en quelque sorte un lieu de pèlerinage pour les adeptes du spiritisme. Par « spiritisme », on appelle l’ensembles des rites et pratiques qui ont vu le jour aux Etats-Unis dans la fin des années 1840 et qui ont été importées en Europe dans les années 1850 : il s’agit principalement de faire tourner des tables et de communiquer avec des esprits. Ce sont trois soeurs américaines qui sont à l’origine du spiritisme : les soeurs Fox, qui disaient communiquer avec des entités par l’intermédiaire de coups frappés. Il faut dire que leur ferme était réputée d’être hantée. Elles vont susciter un véritable engouement, qui franchira les frontières du pays pour aller jusqu’en Europe, engouement qui ne s’arrêtera même pas quand les soeurs avouèrent que tout n’était qu’une supercherie. Et vous verrez que la supercherie, c’est assez courant dans le milieu… Le spiritisme français va se démarquer des pratiques anglaises et américaines qui étaient essentiellement basées sur le spectaculaire  (les médiums américains faisaient même des tournées, en véritables show-men !) : il va s’inscrire dans une démarche de deuil, à l’instar de la photographie post-mortem, il permet aussi une communication avec l’au-delà, offrant aux proches du défunt un dernier échange.  On parle de « deuil romantique » ou « deuil victorien ». Ainsi, sous l’influence de Kardec, le spiritisme va parfois se confondre avec la religion, les frontières ne sont pas toujours bien nettes, surtout dans les campagnes. Même des grandes figures vont se prêter au jeu : on cite notamment Victor Hugo (1) ou Arthur Conan Doyle (2) en Angleterre.

Anonyme
William Hope

La fragilité des familles endeuillées, et leur volonté de croire à tout prix à ces communications avec l’au-delà va finalement devenir un véritable commerce des morts. Les contextes de guerres étaient déterminants dans ce processus, et favorisaient aussi l’apparition de charlatans. Les premières expériences de photographies d’esprits ont lieu aux Etats-Unis, dans les années 1850 : le photographe William Mumler est cité comme le premier à avoir capturé un esprit sur la plaque photographique. Fort de ce « succès », il va en faire sa spécialité et ouvrir un atelier à Broadway qui devient une véritable activité lucrative : il demandait 10 dollars pour une photo avec un esprit, contre 25 cents le portrait ordinaire… Ses clichés deviennent rapidement célèbres, notamment celui qui capture le fantôme d’Abraham Lincoln avec sa femme… Et les gens y croyaient !

Le photographe William Hope officiait en Angleterre, et en France, on a Edouard Buguet, qui s’installe dans le quartier de Montmartre où, comme Mumler, il ouvre son atelier spécialisé dans la photographie spirite. Ils vont tous s’en mettre plein les poches pendant un moment. Cependant, la fraude sera ensuite soupçonnée, et les photographes vont être arrêtés et jugés au tribunal. En vérité, ils utilisaient le procédé de double-impression de la plaque photographique, retouchant parfois la photographie à la main avec de la gouache, en profitant de la crédulité des plus faibles.

E. I. Buguet

Malgré ces scandales et la crédibilité des spirites entachée, on constate un essor des « artistes magiciens ». Selon Nadar, la photographie à ses débuts était associée à la sorcellerie, car le photographe révèle et fixe sur la plaque sensible des images parfois invisible à l’oeil humain. C’est tout le paradoxe de la photographie, elle est censée retranscrire le vrai, mais parallèlement, elle peut tromper. Qui croire ? Si elle n’est pas encore considérée comme un art (elle n’entre au Salon qu’en 1859), elle ouvre la voie dans la recherche de l’invisible, aussi bien dans la médecine, la physique que les sciences occultes. On parle alors de « troisième oeil » (3) et la photographie spirite continue de faire des émules. Dans les dernières années du XIXe siècle, elle voit alors l’émergence d’une nouvelle catégorie : la photographie des fluides. Le plein pouvoir du médium est désormais mis en avant, capable de fixer sans appareil photographique des fluides sur la plaque sensible. Ainsi, Louis Darget se fait spécialiste de la photographie mentale, persuadé que la pensée étant lumineuse, pouvait impressionner la plaque sensible, il la posait sur le front de ses clients pendant une certaine durée. Il dit ainsi obtenir un portrait de Beethoven, ou un aigle en plein vol… Si, comme toujours, ces recherches spirites peuvent poser le doute sur leur véracité, au tournant du siècle elles rejoignent la science avec les recherches sur la radioactivité et les rayons X. (4)

Photographies mentales de Darget.
G. Méliès, évocation spirite

Au final, on assiste à un certain clivage entre les  croyants et adeptes du spiritisme, qui voient en ces photographies des preuves irréfutables de l’existence d’entités paranormales, et les simples amateurs de spectacle. D’ailleurs, ces trucages photographiques ne font qu’annoncer les effets spéciaux au théâtre, puis au cinéma. Georges Méliès, pionnier de la prestidigitation et des trucages, adapte la technique de la surimpression dans ses spectacles, puis au cinéma, influencé aussi par le Théâtre Noir (5). Tout est finalement basé sur l’illusion d’optique, mais à l’époque, on appelait ça « magie noire moderne ».

Il existe toujours des photographies dont on n’a pas su prouver le trucage : celle Lord Combermere, prise en 1891 alors que le Lord était enterré, ou la plus tardive Brown Lady, prise en 1936, dans le Manoir de Raynham Hall qui serait hanté depuis 1726… Il existe aussi tout un corpus de documents montrant des phénomènes paranormaux visibles à l’oeil humain comme des lévitations, des transfigurations ou des apparitions d’ectoplasmes. Encore aujourd’hui, des visages apparaissent parfois à l’arrière-plan de nos photographies. Certains diront Photoshop… Libre à vous d’être rationnel, ou non…

Le fantôme de Lord Combermere
Le fantôme de Lord Combermere (assis le fauteuil à gauche)
Schrenck-Notzing, Le médium Stanislawa P. avec un voile ectoplasmique, 1923
Schrenck-Notzing, Le médium Stanislawa P. avec un voile ectoplasmique, 1923

PLUS D’IMAGES ICI

NOTES:
(1) Victor Hugo découvre le spiritisme dans le Salon de Mme de Girardin. http://expositions.bnf.fr/hugo/arret/spirite.htm 

(2) Une suite de deuils le plonge dans une profonde dépression. Il trouvera son seul réconfort dans le spiritisme. 

(3) C’est d’ailleurs le titre d’une exposition de la MEP, en 2005 : Le Troisième Œil. La photographie et l’occulte. http://www.mep-fr.org/evenement/le-troisieme-oeil/

(4) Les rayons X ont été découverts en 1895 par le physicien allemand  Wilhelm Röntgen, ouvrant notamment la voie à l’imagerie médicale. 

(5) Le Théâtre Noir est « une technique théâtrale permettant de faire apparaitre certains objets et certains personnages, tout en en dissimulant d’autres, par l’utilisation de la lumières et de tentures noires ». Georges Méliès utilise ce procédé en 1909 dans Les phénomènes du spiritisme

SOURCES:
Cuchet Guillaume, « Le retour des esprits, ou la naissance du spiritisme sous le Second Empire. », Revue d’histoire moderne et contemporaine 2/2007 (n° 54-2) , p. 74-90 . URL : www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2007-2-page-74.htm.

Wallon Philippe, Le paranormal, 2e éd., Paris, Presses Universitaires de France « Que sais-je ? », 2006, 128 pages. ISBN : 9782130529880. URL : <http://www.cairn.info/le-paranormal–9782130529880.htm>

Tabet Frédéric, « Entre art magique et cinématographe : un cas de circulation technique, le Théâtre Noir. », Mille huit cent quatre-vingt-quinze 1/2013 (n° 69) , p. 26-43. URL : www.cairn.info/revue-1895-2013-1-page-26.htm.

Grojnowski Daniel, « Photographie : inquiétantes étrangetés. », Critique 10/2005 (n° 701) , p. 788-800 URL : www.cairn.info/revue-critique-2005-10-page-788.htm.

Clément Chéroux, Andréas Fischer, Pierre Apraxine, Denis Canguilhem, Sophie Schmit, Le Troisième Œil. La photographie et l’occulte  », Études photographiques, 18 | Mai 2006, [En ligne], mis en ligne le 21 septembre 2008. URL : http://etudesphotographiques.revues.org/2323. consulté le 28 octobre 2015

Mireille Berton, Georges Mélies, la magie et les fantômes, en ligne sur Artefake. URL : http://www.artefake.com/GEORGES-MELIES-la-magie-et-les.html

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Titulaire d’un master en histoire de l’art contemporain à l'Université d'Aix-Marseille, je me spécialise dans la période XIXe - XXe siècle et dans les arts en Méditerranée.

5 Comments

  1. Goodness! J’ai adoré Le Troisième Oeil de C Chéroux, merveilleux que de lire cet article qui offre à nouveau plein de références à creuser! Connaissez-vous le photographe catalan Joan Vilatoba? Je pense que ses oeuvres vont beaucoup vous parler 🙂

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