Le Musée Granet d’Aix-en-Provence accueille depuis le 11 juillet l’exposition Icônes Américaines, déjà présentée au Grand Palais (Paris) en début d’année. Elle donne à voir une sélection de peintures et de sculptures considérées comme « chefs-d’oeuvre » du San Francisco Museum of Modern Art et de la Collection Fisher. En tout, quatorze artistes, figures parmi les plus représentatives de l’art moderne américain, plus ou moins connues du grand public. L’exposition se termine dimanche 18 octobre, c’est donc le moment ou jamais pour aller la découvrir !
Pour apprécier l’exposition, il faut tout d’abord la replacer dans son contexte, celui des années 1945 à 1980. Au lendemain de la Guerre, les Etats-Unis s’imposent victorieux sur le reste du monde et développent une culture personnelle, basée sur le cinéma, la musique (jazz), et même la littérature. Du côté de l’art, le coup d’envoi est donné par Jackson Pollock : abandon du tableau de chevalet, action painting et expressionnisme abstrait, il ouvre la voie aux innovations et à une histoire de l’art américain.
S’il y a bien un artiste américain connu de tous, c’est sans aucun doute Andy Warhol, lui-même iconique ! Il ouvre d’ailleurs l’exposition, avec des oeuvres sérieuses et peu colorées, loin de l’image résolument Pop qu’on peut avoir de lui. Liz Taylor, Marlon Brando et Jacky Kennedy nous accueillent donc, personnalités à la fois médiatiques et populaires qui contrastent bien avec le minimalisme de la salle suivante.
Avec le minimalisme, ça passe ou ça casse. Le public est difficilement réceptif à cet art totalement dépouillé et froid, malgré le côté ludique que peut introduire les sculptures au sol de Carl Andre : on peut marcher dessus ! Simpliste en apparence, l’idée d’abolir le socle sculptural et la distance avec l’oeuvre d’art est pourtant révolutionnaire. Copper-Zinc Plain, qui peut se confondre avec un simple carrelage, est ainsi foulé par les pieds de milliers de visiteurs depuis 1909 !
Le reste de l’exposition alterne entre abstraction et figuration. La singularité des artistes est plus mise en avant que leur appartenance à tel ou tel courant, ce qui est assez judicieux. Il y a Roy Lichtenstein évidemment, qui comme Warhol nous offre une autre facette de son art, souvent réduit aux jolies femmes et à la BD… Ainsi, Figures with Sunset semble assoir la position de l’artiste dans l’histoire de l’art à travers des références à Dali ou Fernand Léger.
L’art de Chuck Close est assez incroyable, entre réalisme, photographie et trompe-l’oeil… De loin, les portraits semblent être de simples photographies pixelisées. De près, on découvre un nombre hallucinant de cellules peintes, avec des motifs aléatoires de ronds, de carrés et de couleurs. L’effet est réussi et témoigne d’une certaine virtuosité.
Ellsworth Kelly au contraire, se distingue par ses aplats de couleurs, qui effacent presque la trace de l’artiste sur la toile. Visuellement, Spectrum I est sans doute une des oeuvres les plus percutantes de l’exposition : ses couleurs vives, aveuglantes, sont savamment disposées en dégradé et semblent s’imprimer dans la rétine de l’oeil de celui qui les regarde !
Mon coup de coeur : Philip Guston. Il se caractérise par ses allers-retours entre la figuration et l’abstraction, mais toujours avec cette peinture épaisse, grasse, dont on peut sentir toute la matérialité. Son art est agité et politique. Le motif des semelles cloutées, en référence à certains clichés qu’il aurait vu des camps de concentration et qui fait de lui un « juif errant » est hautement touchant.
Non cités ici, d’autres artistes sont à découvrir : Cy Twombly, Alexandre Calder, Sol LeWitt, Agnes Martin (seule femme présentée !), Donald Judd, Dan Flavin, Richard Diebenkorn, et Brice Marden. Le point fort de l’exposition, c’est qu’elle réussi à donner une vision de l’art américain éloignée des clichés de l’exubérance et du clinquant, comme peut le représenter par exemple Jeff Koons, d’ailleurs absent. Par son titre d‘Icônes Américaines et son affiche au portrait de Liz Taylor, on s’attend à retrouver les sérigraphies de Marilyn Monroe, pourquoi pas les Campbell’s Soup Cans ou la Supermarket Lady, et on découvre au contraire un art beaucoup plus sobre, sérieux, profond, et intimiste. Il ne faut d’ailleurs pas hésiter à prendre un médiateur je pense, pour saisir tous les enjeux des oeuvres. Pari donc réussi à mes yeux pour cette exposition, malgré son nombre d’oeuvres plus réduit qu’au Grand Palais, faute de place !
Courrez-y vite, il ne reste que deux jours !