Le cabinet de curiosités de Frederic Marès

Diorama

Barcelone, et sa chaleur écrasante. Non loin de l’imposante cathédrale, en plein coeur du quartier gothique, se cache à l’angle d’une rue un lieu charmant, plein de mystères. Le Musée Fréderic Marès prend place dans une aile de l’ancien palais royal des comtes de Barcelone, et sa cour calme et ombragée attire en premier lieu les voyageurs en quête d’un peu de fraicheur. De l’extérieur, on ne se doute pas des merveilles qui se cachent derrière les murs de pierre.

Frederic Marès était un sculpteur catalan, qui se passionna pour le collectionnisme. Il amassa ainsi toute sa vie des sculptures et divers objets, qu’il légua à la ville de Barcelone en 1944 et qui constituent aujourd’hui les collections permanentes du musée. Le Cabinet de curiosités, au deuxième étage, témoigne tout particulièrement de l’appétit vorace du collectionneur. Véritable caverne d’Ali-baba, ce sont quelques dizaines de milliers d’objets qui s’offrent alors à nous, aller-simple vers le XIXème siècle.

Voici les grands thèmes abordés à travers les salles :

  • Fer et métal
  • La Vierge de Montserrat (sainte patronne de la Catalogne)
  • Religion
  • Armes
  • La femme
  • L’homme
  • Tabac
  • Photographie
  • Horloges
  • Céramiques et vaisselles
  • Divertissement

Faire l’inventaire de tout ce que l’on peut trouver dans ces salles serait pénible et ennuyeux. J’ai donc sélectionné quelques objets du musée qui ont attiré mon attention.

LES BIJOUX EN CHEVEUX

Le cheveu, la chevelure, sont des éléments hautement symboliques à travers les siècles. Atout de séduction chez la femme, de force chez l’homme (cf. le mythe de Samson), il est un support de la mémoire et le symbole du temps qui passe. Il n’était ainsi pas rare de conserver une mèche de cheveux en souvenir d’une personne aimée ou défunte, et d’en offrir en gage de son affection. Le cheveu est donc une relique comme une autre.

Ces mèches de cheveux étaient la plupart du temps montées en bijoux : médaillons, broches, bracelets, colliers… Si on trouve ce type de bijoux depuis la fin du XVIIe siècle, et principalement dans un contexte mortuaire, cette pratique atteint son paroxysme à l’ère romantique (1820-1840). Le bijou devient sentimental, amoureux.

Au XIXe siècle, le bijou en cheveux est une véritable mode et s’étend désormais à tous les cercles (couples, familles, amis proches, etc…) Certains deviennent artistes en cheveux, se spécialisant dans cet artisanat nouveau très en vogue. Parallèlement, un commerce en cheveux se développe. Qu’il soit enserré en médaillon, tressé ou brodé, le cheveu permet de magnifiques ouvrages, parfois ornés de perles, émaux ou pierres précieuses. Son utilisation s’étend même à d’autres types d’objets, comme le textile, les ceintures, les cartes postales…

Au tournant du XXe siècle, le traumatisme lié à la Grande Guerre change le rapport au corps et à la mort. La pratique devient plus rare, elle est jugée morbide et macabre. Comme la photographie post-mortem, son abandon traduit un changement des mentalités et de la société, ces pratiques provoquant aujourd’hui un certain malaise.

LE GRAND-BI

Si ce vélo fait plus ou moins partie de notre imaginaire collectif, ce n’est pas tous les jours que nous avons l’occasion d’en voir en vrai ! Le Musée Frederic Marès possède quatre ancêtres de notre bicyclette, dont un Grand-Bi. Petit historique :

En 1817, un baron allemand nommé Drais s’assoit à califourchon sur une poutre en bois reliant deux roues. Il parvient, en poussant avec ses pieds, à parcourir 14,4 km en une heure. C’est la première forme de la bicyclette, nommée alors « draisienne », puis « vélocipède » lors du dépôt du brevet en 1818. Mais le succès n’est pas tellement au rendez-vous.

En 1861, un dénommé Michaux a l’idée de placer des pédales sur le vélocipède pour donner un appui aux pieds. C’est le début du succès populaire et commercial pour le deux roues.

En cette fin de XIXème siècle, la vitesse était au coeur de toutes les quêtes. Pour augmenter la vitesse du vélocipède, le diamètre de la roue avant n’a cessé de grandir : les pédales étant reliées directement à la roue, cela permettait de parcourir une plus grande distance à chaque coup de pédale.

C’est ainsi que le Grand-Bi voit le jour, vers 1870. Il est d’abord en bois, puis en acier. Toujours à la recherche de vitesse, il est de plus en plus perfectionné, pour atteindre sa forme et son poids « idéal » vers 1881. Cependant, l’hypertrophie extrême de la roue avant (ayant atteint les 1,5 mètres de diamètre !) posait des problèmes de sécurité. Le Grand-Bi n’était pas utilisé par le grand public, mais plutôt par des sportifs expérimentés et amateurs de sensations. Il a cependant été très populaire dans les années 1870 en Angleterre, alors en plein essor des loisirs, avant d’être remplacé par des « bicyclettes de sécurité », plus proche de la bicyclette telle que nous la connaissons aujourd’hui.

LE POLYORAMA PANOPTIQUE et DIORAMA

Ce drôle d’objet fait partie des inventions découlant des recherches du XIXe siècle sur l’image animée, aux origines du cinéma. Le polyorama panoptique est inventé par un opticien parisien, Lemaire. C’est une boite noire équipé d’une lentille, où se superposent deux images en transparence. Une source lumineuse est placée à l’arrière de l’appareil, et c’est en réglant son ouverture que les images se transforment, avec une impression de mouvement. C’est un procédé en apparence simple, mais révolutionnaire pour l’époque, faisant passer généralement un paysage vu de jour à un paysage nocturne. 

Le polyorama panoptique est une adaptation miniature du diorama de Daguerre. Le diorama est une peinture illusionniste, généralement de grand format, animée par des effets de lumière. Il était vécu comme une véritable expérience théâtrale, au même  titre que les panoramas, alors très en vogue. Le musée Frederic Marès possède plusieurs exemplaires de dioramas miniatures, datant de la fin du XVIIIe siècle, donc précédant l’invention de Daguerre. Le principe reste le même, jouant sur le trompe-l’oeil et la lumière.

LE PORTE-BOUQUET

Le porte-bouquet est un accessoire de mode féminin apparut à Versailles sous Louis XIV, utilisé jusqu’au XIXe siècle. Il est constitué d’un petit vase prolongé par un manche, parfois pourvu d’une chaînette le reliant à un anneau passé au doigt. C’est un accessoire de parure, parfois très précieux :  en nacre, ivoire, écaille, opaline, argent, ou or, il pouvait être orné de perles, de corail ou de pierres précieuses. Il était principalement utilisé lors de réunions mondaines, de salons ou de bals, où les femmes se devaient de tenir un grand nombre d’objets dans une seule main :  un éventail, un carnet de bal, un mouchoir brodé, un miroir, un bouquet… Le porte-bouquet est devenu objet de curiosité un peu tombé dans l’oubli, et il  reste relativement peu étudié. En 2005, une exposition tenue au Musée Cognacq-Jay permit de présenter au grand public une collection de 120 porte-bouquet provenant de France, d’Angleterre, d’Autriche et d’Italie, prêtés par un collectionneur privé.

La revue La Mode écrit en 1843 : « les bouquets se placent dans un petit cornet en or de bijouterie, qui tient à un anneau par une chaine de manière à pouvoir laisser tomber le bouquet, et il reste suspendu à la main. » Comme les bijoux ou les flacons de parfums, le porte-bouquet témoigne de l’évolution des modes et des arts décoratifs, avant d’être abandonné complètement.

Pour conclure, le Musée Frederic Marès est un lieu atypique, hors du temps, qui regorge de secrets et de merveilles. Je ne peux que le recommander si vous passez par la belle ville de Barcelone, pour y trouver un peu de calme, de fraicheur, et s’en mettre plein les yeux !


POUR EN SAVOIR PLUS :

Titulaire d’un master en histoire de l’art contemporain à l'Université d'Aix-Marseille, je me spécialise dans la période XIXe - XXe siècle et dans les arts en Méditerranée.

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